Jean Goychman : « Gauche de riches et pauvre droite… »
Dans quel monde vivons-nous ? Qu’arrive-t-il à notre pays ? On a l’impression que « tout fout le camp » et que nous ne pourrons plus nous arrêter sur la pente du déclin. Personne ne semble savoir quoi faire face à l’ampleur de la déferlante qui est en train de détruire toutes les digues censées nous mettre à l’abri.
Dans ce « sauve qui peut » généralisé, nos dirigeants politiques affiliés au « système » viennent pour nous parler sans avoir rien à nous dire, enfermés qu’ils sont dans leur allégeance à la pensée unique qui fait d’eux des « libéraux européistes » et leur interdit ainsi toute excursion vers des voies nouvelles qui pourraient se révéler salutaires.
Pourtant, notre situation est connue depuis près d’une décennie, même si elle a connu une dégradation fulgurante au cours des cinq dernières années. Nous subissons une crise de l’emploi sans précédent dans notre pays, accompagnée d’une montée irrépressible de notre déficit budgétaire, se traduisant par une dette cumulée « abyssale ». Comment peut-on s’étonner de cette situation alors que tout a été mis en œuvre pour y parvenir ?
Pendant des années, la gauche, comme la droite, ont cru qu’il suffisait d’avoir un « traitement social du chômage » hérité des accords de Grenelle et dont les bases d’indemnisation étaient revues plus en fonction des dates d’élection qu’autre chose…
Les indemnisations des pertes d’emploi ont vu leur montant augmenter et leur durée se prolonger jusqu’à devenir dans certains cas une sorte de « congé de fin de carrière »
Cela permettait de masquer temporairement le problème du sous-emploi sans risquer l’explosion sociale prédite par Pompidou dès 1968 si un jour le nombre de chômeurs atteignait 500 000.
Ensuite, officialisant en quelque sorte le processus du paragraphe précédent,ce fut la période des « mises en préretraite » La désindustrialisation programmée de notre pays fut une erreur fatale, que ses promoteurs ont camouflé en redéploiement vers les activités dites « de service » La vérité était pourtant que chaque emploi industriel perdu, quelle que soit sa cause –robotisation ou cessation d’activité- l’était définitivement et que les emplois de service dans le secteur tertiaire, même s’ils étaient nécessaires, ne seraient jamais suffisant pour assurer le plein emploi.
Cette politique d’ « expédients » du type « terre brûlée » ou « après nous le déluge » conduisit donc à sacrifier l’avenir en déséquilibrant les régimes de retraite au profit d’un confort immédiat. Les intéressés acceptaient volontiers leur départ anticipé, qui était financé essentiellement par les caisses d’assurance vieillesse, placées directement ou indirectement sous l’autorité de l’exécutif.
Au bout de quelques années d’euphorie, les gouvernements successifs de gauche comme de droite, ayant largement ponctionné le système sans reconstituer la marge de réserve, la dure réalité apparut. D’un peu partout, certaines voix commencèrent à s’élever, concernant le devenir de notre système de retraite et des inquiétudes qu’il suscitait quant à sa pérennité.
En 1996, le 1er ministre de l’époque, Alain Juppé, entreprit alors de proposer une modification profonde du fonctionnement de ce dernier en envisageant de passer progressivement de la répartition à la capitalisation *, par paliers successifs et en présentant l’affaire comme un « complément de retraite »** C’était l’époque idyllique ou le microcosme gouvernant pensait que les « marchés actions » allaient assurer la retraite et donc désengager l’Etat. On a vu la suite.
Alain Juppé cédant la place en 1997 à Lionel Jospin***, le gouvernement de celui-ci en « remis une couche » en promulguant en deux temps, d’abord en 1998 puis en 2000 la fameuse loi dite « des 35 heures » dont l’objectif avoué était d’augmenter la flexibilité des périodes de travail, mais le but réel était, pensait-on avec une certaine naïveté, d’augmenter le nombre d’emplois créés par ce dispositif par simple partage arithmétique du temps de travail.
Question compétitivité, on constate tous les jours le « bien-fondé » d’une telle mesure, du fait que la réduction du temps légal de travail s’est faite à salaire constant et basé sur la semaine de 39 heures. En fait, le ratage s’est révélé à peu prés complet en raison d’un effet secondaire particulièrement pernicieux qui a été la démobilisation des salariés que nombre de patrons de PME ont constaté.
On aurait pu penser que l’alternance de 2002 allait se révéler salvatrice ; que nenni ! Les choses ont continué sur la lancée et le gouvernement Raffarin, sous la 2ème présidence Chirac, a jugé prudent de ne rien faire concernant le temps de travail. Ce n’est qu’en 2004 que la loi Fillon, alors ministre du Travail, portant sur le financement des retraites, a été promulguée. La principale mesure était un allongement progressif des durées de cotisation La situation était « ubuesque » car d’un coté, on ne touchait pas à la durée réduite du temps de travail, mais de l’autre on proposait d’augmenter la durée de cotisation…
Tous ces égarements auraient pu voir leurs effets atténués si notre pays avait gardé le contrôle de sa monnaie. Quelques petites dévaluations en début de mandat auraient permis de retrouver un peu de compétitivité tout en faisant « porter le chapeau » par ceux d’avant. Mais la mise en service de la monnaie unique a détruit ce recours pourtant efficace, nous laissant démunis dans une sorte de rase campagne où nos dirigeants, qu’ils se réclament d’une couleur ou d’une autre, ont du aller implorer les dieux de l’Olympe Bruxelloise pour qu’ils se montrent cléments à notre égard. Et le plus cocasse dans cette affaire, c’est que nos « bourgeois de Calais » des temps modernes n’hésitent pas à brandir le « spectre » de la venue au pouvoir du rassemblement politique FN-RBM au cas où leurs sollicitations ne seraient pas suivies d’effet.
Ce jeu de dupes va-t-il continuer encore longtemps ? Que nous propose le gouvernement actuel ?
Comme ses prédécesseurs depuis une vingtaine d’années, rien, ou si peu :
Des augmentations d’impôts, avouées ou souterraines de façon à compenser les charges qui pèsent sur les entreprises, espérant ainsi redonner de la compétitivité à ces dernières, compétitivité qui va se transformer en croissance, croissance qui se transformera à son tour en emplois. Beau scénario, excellent sujet de conversation entre énarques, mais qui ne correspond à aucune réalité. Or, toutes les entreprises ne fonctionnent pas de la même façon et il convient de les analyser différemment.
Les grandes entreprises du type « CAC 40 » sont devenues des multinationales financiarisées et j’y consacrerai un prochain article. Leur importance sur l’emploi dans notre pays est plus « médiatique » qu’autre chose. L’autre catégorie, infiniment plus répandue, est celle des PME / PMI qui constitue réellement le véritable marché de l’emploi****
Quiconque ayant travaillé dans une entreprise de ce type, sait que la seule chose qui compte est l’état du carnet de commandes. Or, qui dit commande dit client. Or, le client ne peut acheter que sous une double condition : qu’il ait un besoin ou une envie et qu’il ait les moyens d’y satisfaire.
Plaçons-nous dans le cas (éminemment favorable) où une entreprise voit son carnet de commandes se remplir. Que va faire son dirigeant ? Embaucher immédiatement ? En aucun cas.
Il va d’abord voir comment se présente cette commande sous l’angle des délais et des cadences de livraison. A-t-il le potentiel ? Peut-il sous-traiter et à qui tout ou partie de cette commande ?
Doit-il investir dans des moyens automatisés de production s’il pense que cette commande peut en amorcer d’autres de même nature ?
Dans l’immense majorité des cas, le recours à une augmentation des effectifs ne se fera qu’après avoir épuisé toutes les autres possibilités. Et rien ne dit que ce recrutement améliorera la situation car dans certains domaines, tels que le bâtiment où les travaux publics, dont les métiers ne nécessitent pas une formation complexe et où la langue n’est pas un obstacle, le recours autorisé par une directive européenne aux travailleurs communautaires, dont les charges sociales sont payables dans le pays d’origine, sera évidemment préféré.
Lorsqu’une formation spécifique ou de haute technicité est requise, c’est souvent le futur employeur qui devra la financer, en raison du décalage existant entre les processus de formation existants et l’actualité des besoins.
Il est urgent que nos dirigeants politiques, quelle que soit leur couleur, renoncent à l’idéologie de la « Pensée Unique » d’un libéralisme inspiré des écoles anglo-saxonnes, sur laquelle est basée l’Europe pour prendre en compte la réalité de la situation.
Le clivage droite gauche entretenu par la sphère politico médiatique ne correspond plus à rien sinon à tenter de tromper quelques électeurs fidèles à une image perçue ou à la nostalgie d’une époque révolue lorsque la classe ouvrière se reconnaissait dans une gauche dont les représentants étaient issus de ses rangs. De même la droite, conservatrice et souverainiste depuis toujours et qui s’est constamment opposée à l’Internationale Socialiste, est aujourd’hui devenue fédéraliste et mondialiste, consentant ainsi à l’appauvrissement d’un peuple dont les élites s’enrichiront de plus en plus. De plus, cette relance « par l’offre***** » ne porte pas en elle une certitude de croissance qui se traduirait par de nouveaux emplois, car les façons que les entreprises auront d’utiliser la trésorerie qui leur viendra du « pacte de compétitivité » ne dépend que d’elles.
Le recours à la dévaluation, dont nous nous sommes privés au plan national, est en train de se mettre en place au niveau de la zone euro, gommant ainsi tout gain de compétitivité entre des états devenus concurrents. La suite logique sera une relance « Keynésienne****** » honnie par la pensée libérale, mais qui finira par s’imposer dans les faits. Reste simplement à savoir à qui elle profitera.
Jean Goychman
*Le financement par répartition est issu du CNR (Conseil National de la Résistance) du gouvernement provisoire de 1944 de de Gaulle, qui est à l’origine de notre système social.
Ce sont les cotisations (charges sur salaires payées par les employeurs et les employés) d’une génération qui alimente la retraite de la génération précédente.
Cette répartition s’oppose au système dit « de capitalisation » ou chacun épargne chaque mois un montant dont la somme, enrichie des intérêts produits, constituera un capital de retraite versé sous forme de rente. Ce sont naturellement des organismes financiers qui se chargent de faire fructifier ces dépôts. Le système allemand de retraite est un système mixte mais dont le financement « par capitalisation » est de plus en plus « encouragé ». Pour cette raison, qui n’est pas la seule, l’Allemagne a toujours été opposée à une politique inflationniste. Cela ne simplifie pas une éventuelle relance « européenne »
**http://www.lesechos.fr/10/09/1996/LesEchos/17228-006-ECH_fonds-de-pension–alain-juppe-relance-le-debat-rente-capital.htm
*** Il faut néanmoins rendre à Lionel Jospin cette justice qu’il avait commencé à prendre une série de mesures concernant les caisses de retraite, en créant un fonds appelé FRR (Fonds de Réserve pour les Retraites). La valeur des actifs de ce fonds atteignait 33 milliards d’euros en juin 2010 lorsque, sous la présidence Sarkozy, le gouvernement Fillon a décidé, avec une certaine discrétion, de faire « main basse » sur cette manne…
****D’après les documents fournis par pôle emploi le 31 décembre 2011, les entreprises de moins de 500 personnes représentaient 99.9% du total des entreprises françaises.
Elles employaient 90% du total des salariés français du privé.
*****La relance par l’offre, qui s’oppose à celle effectuée par la demande (voir § suivant) consiste à donner plus d’argent aux entreprises, argent qu’elles sont censées mettre à profit pour investir dans l’appareil de production afin d’en diminuer les coûts et devenir plus « compétitives ».
******John Maynard Keynes, économiste anglais (1883-1946) représente le mal absolu pour certains libéraux. Il était partisan d’une économie dirigée par l’Etat lorsque le besoin s’en faisait sentir. Une « relance Keynésienne » consiste à émettre de la monnaie afin de réaliser de grands programmes d’Etat.
Ces investissements permettront, au travers des emplois créés, de relancer l’économie par la demande, les gens ayant à nouveau les moyens d’acheter. Le programme proposé par JC Junkers, Président de la Commission Européenne, qui prévoit d’investir 300 milliards d’euros, s’inspire un peu de Keynes.
Le prix Nobel de l ‘economie 2014