Petite chronique d’un désastre annoncé
L’évènement le plus important de la vie politique française est sans conteste, à l’exception de l’élection présidentielle, l’établissement du budget de notre nation.
Cette séquence majeure, qui occupe à la fois les ministères, les administrations et la représentation parlementaire, dure une bonne partie de l’année.
Comme toute opération comptable, le budget présente deux parties bien distinctes, qui sont les dépenses et les recettes. Sans rentrer dans les détails de la comptabilité publique, il faut savoir que le budget de la Nation, comme celui de tout ménage, doit impérativement permettre de financer les dépenses, prévues comme imprévues. Contrairement à ce qui se passe dans le privé, où les déséquilibres croissants entre les dépenses et les recettes peuvent conduire à la faillite, cela n’est guère possible en ce qui concerne les Etats.
Or, depuis plusieurs décennies, le budget de la France est calculé en laissant apparaître un écart important entre les dépenses et les recettes. Et cela n’a rien d’anecdotique, puisqu’il s’agit d’un trou de financement représentant environ 20% de ce budget total.
Ce chiffre est volontairement masqué par une confusion soigneusement entretenue entre le budget et le PIB*, ce qui laisse apparaître un montant plus convenable, de l’ordre de 3 à 5% seulement. Cet artifice remonte assez loin dans le temps, à un moment ou la croissance était omniprésente dans le monde, et en particulier en France. Puisque le PIB de notre pays allait augmenter au long de l’exercice budgétaire, on pouvait laisser filer un certain déficit qui serait comblé automatiquement par l’augmentation des recettes dues à cette croissance. Il est donc rentré dans les mœurs qu’un déficit de l’ordre de 3% du PIB était quelque chose de normal, de même qu’il était normal qu’un pays s’endette car il fallait bien financer les investissements futurs.
C’est ainsi que sont nés les fameux « critères de convergences » exigés pour les pays demandant à rejoindre la zone euro. Les promoteurs de cette monnaie connaissaient parfaitement le risque que représentait cette future monnaie unique en cas de divergences des économies des pays adhérents. Ces critères constituaient une sorte de filtre d’entrée qui devait théoriquement permettre à tous ces états de se retrouver à égalité à terme, pour assurer la pérennité de cette monnaie. En gros, on allait réaliser dans le futur la « zone monétaire optimale » c’est-à-dire tout bêtement qu’on allait mettre « la charrue avant les bœufs ».
Alors, on peut se poser la question : sont-ils incompétents à ce point de ne pas avoir réalisé qu’à partir du moment où cette « convergence » n’était plus assurée, c’est tout le projet qui allait « capoter » où bien cette sont-ils d’un cynisme absolu et ils se fichent pas mal de ces prétendus critères qui n’ont d’autre rôle que de berner les gens une fois de plus.
Si nous restons sur cette idée, pourquoi avoir voulu imposer cette monnaie unique ?
Qui, en définitive, tire profit de son existence ? Lorsqu’on pose la question au « quidam moyen » cher à nos élites dirigeantes, à part le sempiternel « c’est vachement bien car on n’a plus besoin de changer d’argent quand on part en voyage à l’étranger… » on obtient guère d’autre réponse. Je ne sais pas si vous voyagez beaucoup, mais pour avoir beaucoup professionnellement et personnellement arpenté le monde, ma derniére opération de change d’une monnaie pour une autre doit bien remonter à plus de trente ans. L’arrivée des cartes de crédit au début des années 70 a réglé ce problème. Bien sûr, en cherchant bien, on doit bien pouvoir trouver un endroit dans le monde où les cartes de crédit sont inconnues, mais je doute qu’il se situe dans la zone euro.
Alors, pourquoi ? Pour faciliter les facturations des entreprises et ne plus avoir à calculer les taux de change au jour le jour ? Hormis le fait que l’immense majorité de nos entreprises n’exportent pas, et que, parmi celles qui le font, beaucoup ne se cantonnent pas à l’intérieur de ladite zone, ce problème de calcul de change était résolu bien avant l’entrée en vigueur de l’euro. Les risques de change ont toujours été présents dans notre économie depuis l’introduction des monnaies « flottantes** » qui remonte à plus d’un siècle, mais la technique du « panier de devises*** » permet de limiter le risque. L’euro ne trouve pas là non plus sa justification.
Alors, où se trouve-t-elle ?
Mayer Amschel Rostchild**** aurait dit, il y a plus de 200 ans : « Si j’imprime les billets, je me moque de qui fait les lois » Cette conception est fondamentale car c’est de celle-ci que découle tout le reste. Le véritable pouvoir appartient à ceux qui contrôlent la monnaie. Or, la création de la zone euro a entraîné mécaniquement celle de la Banque Centrale Européenne (BCE). Pour nous faire passer la pilule amère que constituait la perte de notre souveraineté monétaire, on nous a fait croire que le rôle de la BCE était de lutter contre l’inflation, de façon à protéger le petit épargnant…. Quelle sollicitude ! Mais on ne nous a pas tout dit…
Dans les faits, il s’agissait ni plus ni moins que de transférer le pouvoir régalien de la création monétaire, incontournable attribut de la souveraineté, souveraineté qui, dans toute démocratie digne de ce nom, appartient au peuple et au peuple seul. Le véritable enjeu était là.
Il ne faut donc pas s’étonner si le discours de promotion de cette monnaie a varié d’un pays à l’autre. Les peuples n’ayant pas tous le même vécu, il fallait fournir à chacun les arguments qui justifieraient leur adhésion. Les Allemands ont connu une inflation galopante en 1923 qui leur a laissé de très mauvais souvenirs. Or, le gouvernement allemand n’avait pas d’autre choix en raison des clauses draconiennes du traité de Versailles qui saignaient « à blanc » l’Allemagne de l’époque. Pour nous, ce fut l’argument du voyage. Un peu plus tard, pour les Espagnols et les Grecs, celui de l’argent facile… Bref, il y en eut pour tout le monde.
Mais, passées les les premières années, le rêve a laissé la place à la réalité. La première crise importante eut lieu en 2008. Or, les effets de cette crise varièrent d’un pays à l’autre. Il apparut clairement que, en raison même de ces disparités, la BCE ne disposait d’aucun moyen efficace pour y faire face. Bien que cette crise trouvât son origine dans la totale absence de réglementation du système financier international, c’est cependant aux états qu’on transmit la
« douloureuse ». Dans ces cas là, on sait se rappeler que le peuple est souverain pour… payer les impôts supplémentaires. Et là, oubliés les critères de convergences et autres fariboles, c’était « struggle for life » comme disent nos amis Américains. Pour nous, peuple français,la traduction chiffrée fut de 600 milliards de dettes supplémentaires.
On aurait pu penser qu’après un tel exploit, le fameux « bon sens » conduirait à se mettre au travail sans tarder pour imposer au monde de la finance internationale une réglementation qui empêcherait à l’avenir que de tels errements se reproduisent. Le candidat François Hollande, qui sollicitait alors nos suffrages, avait eu un discours à la fois martial et définitif auquel on ne pouvait que souscrire. Notre espoir fut de courte durée. Tout repartit comme avant en l’espace de quelques mois.
Il est essentiel que chacun d’entre nous comprenne que, à chaque billet imprimé par la BCE correspond une dette correspondante dont, en tant que contribuables, nous sommes garants. Mais ce n’est pas tout. Cet « argent-dette » créé par la BCE n’alimente même pas notre économie réelle, à savoir du crédit pour nos entreprises afin qu’elles investissent dans leurs projets futurs, mais reste la plupart du temps dans les banques qui, à leur tour, le reprête à …
La BCE !
Certes, les taux directeurs de cette BCE sont bas, très bas, même. Où cela nous conduit-il ?
Nulle part. Notre pays est en panne. Le moteur a calé et nous n’avons pas la clé du démarreur.
Pour redémarrer, il faut que nous reprenions à la fois notre souveraineté monétaire et le contrôle de notre banque centrale, qui est la banque de France.
Pensez-vous qu’il soit normal qu’aujourd’hui, alors que les taux de croissance des différentes économies mondiales soient redevenus positifs, celui de la zone euro reste désespérément nul ?
Doit-on dès maintenant se résigner à notre sort et attendre les bras ballants les effets encore plus destructeurs de la prochaine crise ? Nous ne possédons qu’une seule arme, pour faire face à tous ces dangers, c’est notre bulletin de vote.
Jean Goychman
* le PIB ou Produit Intérieur Brut ) représente plus ou moins la valeur des richessses produites par un pays durant un an. Le PIB français est actuellement autour de 2.000 milliards d’euros.
Un déficit budgétaire de 4.5% (cas de 2014) représente un déficit (écart entre recettes et dépenses publiques) de l’ordre de 90 milliards d’euros.
**Au départ, le cours des différentes monnaies étaient basé sur celui de l’or. Durant le 20ème siècle, les monnaies ont été « déconnectées » du prix de l’or et leur valeur s’appréciait ou se dépréciait comme celle des autres marchandises, en fonction du marché.
En théorie, il y a 2 facteurs qui jouent sur la valeur d’une monnaie : le nombre de billets ou de pièces émises et le taux du crédit de la banque centrale qui émet cette monnaie.
*** La technique du « panier de devises » consiste, lorsqu’on envisage de faire un achat dans une certaine monnaie, de convertir une somme équivalente à cet achat dans plusieurs devises afin de limiter les variations au moment de l’achat, en pensant que toutes ces monnaies auraient des variations différentes.
**** Mayer Amschel Rostchild (1744-1812) est considéré comme le père de la dynastie qui est aujourd’hui à la tête d’une des premières banques mondiales. On lui prête cette phrase, toutefois controversée, mais qui a le mérite d’être très claire.