Jean Goychman : Les stress-test des banques, une arnaque de plus
Seul un tout petit nombre de personnes connaissent le fonctionnement du système bancaire. Cela n’a rien de fortuit. L’opacité qui entoure la réalisation des opérations bancaires était une condition indispensable à la mise en œuvre du processus. Dès 1922, Henri Ford disait :
« Il est appréciable que le peuple de cette nation ne comprenne rien au système bancaire et monétaire. Car si tel était le cas, je pense que nous serions confrontés à une révolution avant demain matin. »
Ce système bancaire repose entièrement sur la crédulité des peuples, mais on préfère dire la « confiance », car la « crédulité » est trop synonyme de « naïveté ».
Qu’est-ce que la confiance ? On peut dire que la confiance est avant tout un « ressenti », un sentiment que nous avons et qui nous est inspiré par une multitude d’éléments. Cela peut provenir d’une expérience vécue dans une relation humaine : « Il a toujours tenu parole » ou commerciale : « Je n’ai jamais été déçu par mes achats dans ce magasin ». Cela peut venir aussi d’un environnement, comme un quartier « chic » ou voir quelqu’un rouler dans une voiture de luxe …
Concernant les banques, cette confiance est vitale, car nous lui donnons notre argent en dépôt. La règle du jeu implicite est que nous devons être sûrs de pouvoir le récupérer à tout moment.
Si tel n’est pas le cas, la nouvelle va se propager comme une trainée de poudre et tous les déposants de ladite banque se précipiteront pour reprendre leur bien. Incapable d’honorer ce contrat tacite, la banque sera mise en faillite instantanément. Une telle éventualité ne peut que semer le doute dans les esprits et c’est l’ensemble des banques qui risque d’en pâtir. Or, si la confiance est perdue, il est très difficile, voire impossible, de la retrouver rapidement. Il faut donc gommer toutes les traces ou vestiges d’une faillite bancaire. On comprend l’importance que revêt le contrôle des médias pour la finance et pourquoi certains de ces « faiseurs d’opinion » sont possédés directement par des banques.
Hélas, la confiance dans les établissements bancaires ne cesse de diminuer. La faillite de Lehmann Brothers, institution plus que centenaire, puis les problèmes de certaines banques européennes, irlandaises, grecques, espagnoles ou portugaises ont quelque peu mis à mal ce crédo de « solidité à toute épreuve ». Le concept du « too big to fail » ne suffit pas pour tranquilliser l’esprit de l’opinion, devenue « frileuse » La garantie de 100.000 euros par compte s’adresse essentiellement aux teneurs de « petits comptes » mais soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout pour les autres, qui se sentent un peu désignés comme victimes expiatoires.
C’est dans ce contexte qu’intervient donc cette gigantesque « opération de com’ » qu’est la campagne des « stress tests » menée par la BCE auprès des banques européennes.
On, ce n’est pas la première fois qu’on nous fait ce coup-là, mais les tentatives précédentes avaient été faites par ce qu’on a appelé « les régulateurs européens »
En juillet 2010, sur les 91 banques européennes « passées à la moulinette », seulement 7 avaient été recalées. Néanmoins, certaines voix s’étaient élevées à l’époque pour dire que les hypothèses n’étaient pas réalistes et que certaines banques semblaient beaucoup plus fragiles qu’indiquées de par leurs résultats. Bref, un coup pour rien.
Et puis il y eut « l’affaire de la Grèce » qui commença à faire trembler le système bancaire de la monnaie unique à l’automne 2011 et le coup de projecteur ainsi donné éclaira également l’Italie, l’Espagne et également le Portugal. La situation allait devenir sérieuse. Car ce qui menace les grandes banques, ce ne sont pas les défauts de paiement des petits entrepreneurs ou des petits propriétaires devenant insolvables, mais bel et bien les défauts sur les « dettes publiques » également appelées « dettes souveraines » Ce sont des dettes d’Etat, considérées comme le « nec plus ultra » en matière de dette. Une dette garantie par un état, c’est du « béton de chez béton » surtout si l’état en question maitrise parfaitement la levée des impôts.
L’automne 2011, suivi de la crise bancaire de Chypre de 2012, où la BCE a, pour la première fois, refusé en garantie les titres obligataires Chypriotes alors qu’elle les avait accepté pour la Grèce, l’Irlande et le Portugal ont amené un regain d’inquiétude sur les banques européennes.
Les banques de Chypre se sont retrouvées en état de « faillite virtuelle » et le pays dut solliciter l’aide de la « Troïka » qui exigea en contrepartie des mesures « draconiennes ».
L’opinion publique a retenu la ponction obligatoire que les banques chypriotes devaient faire sur les comptes de leurs déposants pour se recapitaliser et cela était de très mauvais augure.
L’impensable s’étant produit une fois, est-ce que cela n’allait pas se reproduire ?
Remarquez bien que, jusqu’à présent, le fonctionnement a été à l’inverse. Ce sont les Etats, c’est-à-dire les contribuables, qui ont recapitalisé les banques lorsque, à la suite de prises de risques totalement inconsidérées, elles se sont retrouvées dans des situations de quasi-faillite.
C’est ainsi que les dettes publiques ont augmentées considérablement entre 2008 et 2010.
Les politiques ont invoqué une situation de « crise », pour donner un caractère exceptionnel à cette intervention, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne semble pas dictée par le libéralisme échevelé, courant de pensée dominant dans l’économie de la zone euro.
Même si, à l’évidence, une telle situation peut se reproduire, il est certain que le remède sera le même. Une faillite des grandes banques, européennes ou non, étant totalement exclue, leurs dirigeants doivent néanmoins montrer qu’ils cherchent à en minimiser le risque.
La réponse choisie est de faire une grande campagne médiatique qui donne à la BCE un rôle apparent de « père fouettard ». Il s’agit de montrer que les banques, longtemps considérées comme échappant à toute réglementation, sont « reprises en main » par une sorte de police qui surveille leurs agissements. Ce n’est ni plus ni moins qu’une version moderne du « dormez, braves gens, nous veillons sur vous ! » et qui peut se traduire dans les faits par : « donnez-nous votre argent, nous vous le conserverons bien au chaud »
Que démontrent en réalité ces fameux stress tests ?
A dire vrai, pas grand choses. 130 banques ont été passées « à la moulinette ». Leurs bilans ont été analysés, mais suivant des critères assez subjectifs. Les prêts effectués par ces banques (qu’elles appellent créances) ont été classés d’après la qualité estimée de l’emprunteur. En un mot, celui qui rembourse régulièrement permet de qualifier son emprunt
Comme bon, alors que celui qui rembourse avec des retards voit le sien considéré comme douteux. C’est une vision instantanée qui ne tient pas compte des évolutions réelles, mais d’un modèle type. On définit a priori la zone et l’intensité de la secousse et on essaye d’estimer les immeubles qui vont résister. Le « hic », c’est que tous ces organismes, qu’ils soient prêteurs
(banques) ou emprunteurs, sont interconnectés. Les étudier indépendamment les uns des autres n’a pas de sens. Par le jeu dit « des compensations inter-bancaire », la faillite d’une seule peut entraîner celle de l’ensemble.
Partant de là, on nous annonce doctement que 25 banques pourraient être mises en faillite, contre 7 sur 91 comme indiqué précédemment. Mais immédiatement après on nous précise qu’un certain nombre d’entre-elles sont déjà tirées d’affaires, car elles ont été « recapitalisées » depuis. Bref, la proportion reste sensiblement la même.
Pour ceux qui attendaient des mesures concrètes concernant la réglementation, ils devront encore patienter. La fameuse séparation entre les banques de dépôts et les banques d’affaires* n’a été jusqu’à présent qu’un « thème de réflexion ».
Plus inquiétant, les tests ne prennent pas en compte l’hypothèse, pourtant loin d’être improbable, d’une sortie de la zone euro d’un ou plusieurs pays. Il est vraisemblable que les résultats seraient différents, compte tenu des états d’engagement de certaines de ces banques dans les dettes dites « souveraines »
Alors voilà, l’illusion est donnée ; on a fait quelque chose qui débouche sur un « coup médiatique » sans vraiment prendre de décision concernant l’avenir. Le secteur bancaire continuera à « privatiser les bénéfices et socialiser les pertes » et ce jusqu’au moment où cela ne sera plus possible, et personne ne sait ni quand ni comment se produira le « sauve qui peut généralisé »
*En 1934, dans le cadre général du « New Deal » annoncé par FD Roosevelt (dont la famille était à l’origine d’une partie du système bancaire américain) une loi appelée « Glass Steagall Act » (du nom de ses promoteurs) avait été promulguée afin d’interdire aux banques dites « de dépôts » d’investir l’argent de leurs déposants sur les marchés. Seules les banques dites « d’affaires » pouvaient s’y aventurer, leurs clients étant censés connaître les risques.
Jean Goychman