Jean Goychman – Le président du MEDEF ne fait pas de politique…
Dans un récent article publié par le journal « Le Parisien », Le président du MEDEF, Pierre Gattaz, se lançait dans une violente critique à l’encontre du projet économique proposé par le Front National. S’étant préalablement et délibérément placé au-dessus de la mêlée par un « je ne fais pas de politique » pour bien marquer que seules les contingences économiques allaient circonscrire son propos, il égrenait alors tous les poncifs répétés « ad nauséam » par les adversaires du FN, dont il fait, de toute évidence, partie. Cette attitude, qui consiste à vouloir scinder le monde économique du monde politique, est une sorte de constante de l’orthodoxie libérale. Le Premier Ministre Raymond Barre, consacré « meilleur économiste de France », lors de son discours de politique générale du 05 octobre 1976, n’avait pas dit autre chose.
Pierre Gattaz attaque sur trois fronts. L’euro, l’augmentation du SMIC et les tarifs douaniers. Et il n’y va pas de main morte. Le retour au Franc ruinerait la France. C’est une telle évidence qu’il ne s’abaisse pas à dire pourquoi. Le manichéisme qui sévit dans l’ensemble de la classe politico-économique « eurolâtre » ne souffre pas qu’on puisse demander la moindre explication. « Puisqu’on vous le dit, c’est que s’est vrai, croyez-nous ! » Pierre Gattaz sait très bien que la monnaie, qui aurait dû rester économiquement neutre comme lorsqu’elle servait à étalonner les valeurs des biens les uns par rapport aux autres, est devenue une valeur marchande spéculative. Les cambistes vont chercher à acheter des monnaies uniquement en fonction des gains qu’ils pourront obtenir par les ajustements incessants des cours « flottants » des (1) unes par rapport aux autres.
Les « trente glorieuses » n’ont pu exister que parce que notre pays exerçait un contrôle total de notre monnaie. Les difficultés sont arrivées au moment où nos dirigeants ont voulu, dans l’optique fédéraliste, libérale et atlantiste qui était la leur, ajuster le cours de notre monnaie afin de l’asservir au Mark. Cette idée, poussée par un certain nombre de « think tanks » (2) dont certains financés par des fonds américains, a permis d’arriver à la monnaie unique quelques décennies plus tard, mais nous a privé d’un moyen efficace pour maintenir la compétitivité de notre industrie. Reprendre le contrôle de notre monnaie est donc une question vitale. Pierre Gattaz fait également référence à l’arrivée de la gauche au pouvoir et beaucoup des avancées sociales ont été financées par des dévaluations compétitives, tout comme pourrait l’être aujourd’hui une augmentation du SMIC. On ne peut pas faire travailler les gens de plus en plus en les payant de moins en moins. Mais il y a une chose encore plus importante que Pierre Gattaz ne souligne pas, c’est, au travers de la reprise du contrôle de notre monnaie, le financement des dépenses publiques excédentaires non plus par des emprunts financiers générateurs d’intèrêts, mais directement par notre future banque de France, qui jouerait alors le rôle dévolu à la BCE, avec une différence fondamentale ; l’argent émis n’irait plus vers les banques privées mais directement dans les caisses de l’Etat, sans intérêts à payer.
Enfin, concernant les règles douanières, il ne parait pas extravagant de se prémunir d’une concurrence déloyale que certains pays exportateurs ne se privent pas de faire à nos productions nationales. Partout où les intérêts vitaux d’une nation sont en jeu, le devoir de ses gouvernants est de les défendre. En général, dans les démocraties, ils sont élus pour cela.
Quant à l’hypothèse du repli de notre pays sur lui, tel le village d’Astérix, elle ne peut que faire sourire. La France est un des principaux carrefours européens et il suffit de regarder une carte pour s’en persuader.
L’attitude du président du MEDEF me semble curieuse car, après avoir porté avec le succès que nous connaissons son fameux badge « un million d’emplois » lors de la discussion du pacte de compétitivité, est-il vraiment utile pour lui de critiquer ceux qui proposent de prendre une voie différente, d’autant plus que celle-ci est déjà appliquée par la grande majorité des autres pays hors de la zone euro. On peut comprendre qu’il s’oppose à l’augmentation du SMIC, il est dans son rôle, mais qu’il n’en fasse pas une condition de survie de notre pays. Le SMIC a été fait, ne l’oublions pas, pour garantir à un salarié un revenu minimal qui lui permette de se loger et de se nourrir. Cela devient difficile de nos jours.
Les élections du 06 et 13 décembre sont des élections régionales. A ma connaissance, ni Marine Le Pen, ni aucune autre tête de liste du Front National, n’envisagent d’emmener les régions où elles briguent un mandat vers la sécession. Alors, invoquer un programme économique établi pour l’élection présidentielle pour tenter de dissuader les électeurs de voter pour les candidats du FN aux régionales me semble hors de propos.
Je pense que Pierre Gattaz est parfaitement libre, de faire connaître son opinion sur tel ou sujet. Mais dire qu’on ne fait pas de politique en recommandant de ne pas voter pour une formation politique reconnue, en passe de devenir majoritaire si l’on en croit les sondages récents, témoigne d’une certaine désinvolture intellectuelle.
(1) L’abandon progressif de l’Etalon-or a fait que les monnaies étaient soumises à l’offre et à la demande des marchés. La parité-or obligeait les Etats à une beaucoup plus grande rigueur dans l’utilisation de la « planche à billets » et limitait ainsi la création monétaire, du moins pour la monnaie « circulante » appelée « fiduciaire » Aujourd’hui, les banques centrales se fixent des objectifs de croissance et craignent par-dessus tout la récession. Elles se sont donc lancées dans des opérations de création monétaire à tout va, pudiquement appelées rachat de dettes…
(2) Les Think Tanks, littéralement des réservoirs de pensée, sont des clubs qui réunissent des gens qui partagent les mêmes idées et qui réfléchissent ensembles aux moyens à utiliser pour les imposer au reste de l’humanité
Jean Goychman