Jean Goychman – Paradis fiscaux : de qui se moque-t-on ?
Faisant, comme à l’accoutumée, ma revue de presse matinale, mon regard se fixa sur un des titres du site de Boursorama : « Les gros profits des banques françaises dans les paradis fiscaux » Intrigué, j’ai donc poursuivi la lecture. Je m’attendais à trouver, classées comme « paradis fiscaux » des contrées lointaines réchauffant leurs cocotiers sous le soleil des tropiques. Eh bien, je me trompais. Quelle ne fut pas ma surprise de voir que, parmi les cinq grandes banques françaises objet de cette enquête, trois d’entre elles ont engrangé un bénéfice maximum au Luxembourg et les deux restantes, mais non des moindres en Belgique. (1)
A côté de ces deux pays européens membres de l’Union Monétaire, on trouve l’Irlande et les Pays-Bas, également membres de cette zone, ainsi que la Hongrie, hors zone euro. Voici donc cinq pays dont on aurait pu s’attendre –à priori- à ce qu’ils manifestent une certaine solidarité avec le nôtre. Au moment où le gendarme bruxellois s’apprête à nous verbaliser en raison de notre déficit budgétaire et de notre endettement excessif, ce sont nos propres « copains de classe » qui n’hésitent pas « à se sucrer sur notre dos » Car tous ces pays ne sont pas des philanthropes éclairés, mus par le seul désir de venir en aide à quelques banques nécessiteuses. Ils perçoivent leur petit denier et, au total, c’est quand même environ cinq milliards d’euros qui viennent grossir l’escarcelle de nos banques.
Cinq milliards d’euros qui sont une perte sèche pour le fisc français. Cela représente à peu près cent cinquante euros par Français et certainement autour de trois cent euros par contribuable. Et pendant ce temps-là, les mêmes banques nous expliquent qu’elles doivent faire payer leurs services, comme celui de la tenue de nos comptes.
Mais revenons à nos paradis fiscaux. Voilà bientôt soixante ans que le Traité de Rome a été signé, annonçant une ère de paix, de prospérité et de solidarité entre les pays signataires. Faut-il rappeler que la Belgique, le Luxembourg et la Hollande faisaient partie de ces signataires et qu’ils étaient même regroupés dans ce qu’on désignait par « Benelux » A ce titre, ils figuraient comme une sorte de « clé de voûte » de la future union européenne. Bien sûr, leurs dirigeants vont nous expliquer que cela n’a rien à voir avec le régime fiscal en vigueur dans leur pays respectifs, que les salariés de ces banques y sont beaucoup plus productifs que dans les autres pays moins fiscalement favorables…On peut toujours raconter ce genre de fables, il n’empêche que les faits sont là. On a fait accepter la monnaie unique à marche forcée, on a supprimé les frontières au nom du sacro-saint libéralisme, on envoie sans vergogne, grâce à cela, des travailleurs « détachés » qui accentuent la pression baissière « au nom de la compétitivité » sur les salaires des résidents coupables du crime « d’opulence caractérisée » sans pour autant s’attaquer à l’autre versant qui est celui de l’harmonisation de la fiscalité et des charges pesant sur les entreprises.
En France, le coût du travail, c’est-à-dire tout ce que les entreprises doivent verser proportionnellement aux salaires, essentiellement ce qu’on désigne comme étant « la protection sociale » coûte plus cher que dans d’autres pays. Non pas parce qu’on y est mieux payé, mais parce que notre système de santé, de retraite et d’indemnisation du chômage coûte plus cher. Il est également de meilleure qualité, mais ce qui aurait dû être préservé comme avantage est en train de se retourner contre nous. L’ère de la « finance-reine » ayant permis l’internationalisation des capitaux, ceux-ci se sont transportés vers les endroits où les profits sont plus conséquents. Le déséquilibre ainsi créé ne peut se combler que deux façons possibles. Soit baisser les salaires et toutes les charges y afférent, soit diminuer la valeur de la monnaie. La seconde solution étant interdite pour cause de monnaie unique, il ne reste que la première.
Autrement dit, les classes moyennes, déjà les plus touchées par la fiscalité, vont continuer à s’appauvrir sur les deux tableaux qui sont la diminution des revenus du travail et l’augmentation des impôts alors que d’autres comme les banquiers –mais pas seulement- vont tirer de cette dissymétrie des systèmes fiscaux des sommes colossales. Tous ceux qui se sont expatriés (et qui continuent à le faire) vers des cieux plus « cléments », et notamment certains retraités diminuent d’autant les rentrées fiscales de notre pays, accentuant ainsi la pression sur ceux qui restent.
On nous avait pourtant promis de mettre un terme à cette situation. D’abord Sarkozy, puis Hollande, puis les autres ; Même Juncker y était allé de son couplet. Finies, les pratiques de dumping fiscal « à l’Irlandaise » Tout le monde devait pratiquer les mêmes taux. On a vu le résultat.
Alors, bien sûr, on peut travailler davantage. Cela améliorera certainement les choses. Mais pour combien de temps ? Car si cela est bénéfique pour nous, cela le sera également pour d’autres, qui ne manqueront pas de nous imiter. Et pendant ce temps-là, les profits financiers continueront d’augmenter dans les paradis fiscaux, créant à chaque fois un manque à gagner sur les recettes fiscales qu’il faudra bien combler par l’emprunt ou un surcroit d’impôts.
Combien de temps cela peut-il encore continuer ?
Jean Goychman
(1) http://www.boursorama.com/actualites/les-gros-profits-des-banques-francaises-dans-les-paradis-fiscaux-e248c30a907a5a3634aa32f9ff6004da
J’ai vu que le lien de référence ne fonctionnait plus. En voici un autre
http://www.leparisien.fr/economie/votre-argent/les-gros-profits-des-banques-francaises-dans-les-paradis-fiscaux-16-03-2016-5631375.php
Merci lien très intéressant et instructif.