Jean Goychman – Pourquoi l’Europe n’existe-t-elle pas ?
Il y a, depuis le tout début de ce qu’il est convenu d’appeler « la construction européenne » une sorte de halo de non-dit que peu de gens osent transgresser. Il s’agit du concept de « nation ».
De Gaulle avait répondu sur ce point à une question posée par Alain Peyrefitte, qui l’interrogeait sur sa doctrine en matière d’organisation des Etats entre eux à l’échelle de la planète : « Que tous les peuples du monde forment des nations et soient protégés par des Etats qui coopèrent entre eux. » Et il poursuivait, précisant sa vision de l’Europe future :
« Voyez-vous, l’Europe est composée de vieilles nations qui ont des siècles et des siècles derrière elles. Des langues différentes. Des cultures différentes. Les Italiens seront toujours des Italiens, les Allemands seront toujours des Allemands, les Polonais seront toujours des Polonais. On peut en assimiler quelques-uns mais pas le Peuple Polonais, de même qu’on ne peut pas assimiler le peuple Allemand »1
Et suit cette vision prophétique, sur une remarque de l’auteur : « C’est pour ça que vous parlez de la Russie et non de l’Union Soviétique ? » à laquelle il répond :
« Les seules réalités internationales, ce sont les Nations. La Russie boira le communisme comme le buvard boit l’encre »1
Ainsi donc, pour de Gaulle, c’est l’idée de peuple qui est consubstantielle de celle de nation.
Malheureusement pour les partisans d’une Europe fédérale, il n’existe pas de peuple européen. Malgré tous les efforts déployés aujourd’hui dans notre pays (et dans les autres également) pour tenter de faire disparaître notre culture et nos racines, en essayant d’accréditer l’idée d’un nouvel « an zéro », rien n’y fera. Nous resterons pour les décennies et probablement les siècles à venir, les Français, les Allemands, les Italiens et tous ceux qui ont réussi à faire une nation.
Car être un peuple ne suffit pas. Le passage à la nation se fait sur une transcendance, une volonté de défendre, fut-ce au prix du sacrifice personnel, ce bien commun à tous.
La nation française est née à Valmy, la nation américaine est née à Gettysburg et Bismarck a fait naître la nation allemande grâce à deux victoires militaires. L’une contre l’Autriche en 1866 et l’autre contre la France en 1870. Et il en est de même pour tous les autres pays qui ont pu accéder au statut d’Etat-nation.
C’est toute la différence entre les Etats-Unis d’Amérique et ce qu’on voudrait nommer les « Etats-Unis d’Europe ». Dans une conférence récente sur la « géopolitique du futur européen » Georges Friedman2 posait cette simple question : « Qui est prêt à mourir pour l’Europe ? »
Personne, et c’est tout le problème. Cette pseudo-construction, qui n’est que le faux-nez d’une vaste zone de libre-échange avec le continent américain d’abord puis le reste du monde ensuite, n’est conforme qu’aux intérêts d’une classe financière dirigeante qui a tout simplement écarté les peuples. Ne se ressentant pas viscéralement « partie prenante » de cette organisation pour laquelle ils n’ont d’ailleurs que rarement été consultés, et jamais dans leur intégralité, ils n’y ont jamais adhéré.
Car les exemples sont pourtant légion. Tous les empires qui n’ont pas su créer un Etat-nation en y associant leur peuple ont disparu ou disparaîtront. Ce fut le cas de l’Empire Romain, puis du Saint Empire Romain Germanique et plus récemment de l’Union Soviétique et de la Yougoslavie, que Tito avait réussi à enserrer dans une « main de fer »
A contrario, l’Empire Chinois s’est transformé, mais le peuple chinois, aussi divers soit-il, a survécu et avec lui la nation chinoise, même si elle est divisée. Les Etats-Unis sont sortis finalement renforcés de la guerre de sécession, même si certains Etats n’ont pas abandonné toute velléité sécessionniste.
Ce constat étant fait, pourquoi veut-on persévérer dans une voie en apparence sans issue ?
Pourquoi tenter d’imposer aux peuples et à leurs nations une organisation dont ils ne veulent pas ?
Parce que l’objectif réel n’a jamais été de construire un véritable Etat européen, malgré toutes les illusions entretenues dans ce sens. Pour faire émerger un peuple européen, il aurait fallu que les européens, ou du moins une grande partie d’entre eux, se sentent menacés par un ennemi commun, ce qui n’a jamais été le cas.
Nos ennemis se sont toujours situés, depuis une bonne dizaine de siècles, à l’intérieur de ce qu’on peut appeler « l’espace européen » Comme le remarquait Georges Friedman dans son intervention, les institutions européennes ne parlent et n’agissent que dans le domaine de l’économie et surtout celui de la finance. Où sont les valeurs morales, le don de soi, le respect des peuples et de leurs nations dans tout cet univers basé sur les marchés, les dettes et les taux d’intérêts ?
Triste paysage dans lequel, au nom de la compétitivité, on tente de convaincre non seulement ceux qui ont encore la chance de vivre décemment, mais aussi les plus démunis qu’ils doivent accepter de perdre encore et toujours plus pour que ceux qui ont déjà tout aient plus encore.
Car, et c’est bien d’un odieux chantage dont il s’agit, si nous n’acceptons pas de travailler pour moins cher, nous n’aurons plus de travail du tout !
Voici donc les véritables valeurs sur lesquelles on voudrait bâtir l’Europe. On a bien essayé de faire croire que certaines coopérations internationales (Airbus entre la France et l4allemagne, ou Concorde-plus discutable- entre la France et l’Angleterre, pour ne parler que de celles-là) ont été réalisées grâce à l’union européenne, mais c’est totalement faux. Airbus trouve son origine dans le programme « Transall 3» en 1959. On peut jouer sur les mots et qualifier cela de « programme européen » mais c’est une grivèlerie intellectuelle. Le Transall, tout comme l’Airbus, ont été financés essentiellement par des firmes allemandes et françaises
Et les contribuables des deux pays. Quant aux projets véritablement européens (navette spatiale, Galileo, etc) on sait ce qu’il en est advenu. Aujourd’hui, la seule chose qui nous est proposée, et cela émane de Mario Draghi, c’est de sauver l’euro. On croit rêver. L’euro devait nous apporter le plein emploi et la prospérité, et on nous demande d’accepter encore et encore des efforts pour le sauver.
Remarquez bien que, là encore, il s’agit d’argent. Et quel est le plan de Mario Draghi ? Donner encore et toujours plus d’argent aux banques ! Pauvres européens. Le jour où ils comprendront, je crains pour ceux qui les ont conduits dans cette impasse. Que d’austérité, que de privations, que de malheurs pour arriver où ? Nulle part. Un champ de ruines intellectuelles et morales dans lequel nous sommes en train de perdre notre âme, et avec elle tout ce qui faisait du vieux continent un véritable « phare » de la pensée humaine.
Certes, nous n’avions ni les grands espaces de l’Amérique du Nord ou des steppes russes, ni les ressources inépuisables de ces Etats-continents, mais nous avions su, au fil du temps, conserver l’éclat d’une civilisation qui avait su faire coexister la religion et la libre-pensée, le progrès technique et la condition humaine, grâce à un juste équilibre entre le profit que tiraient certains à juste titre de leur courage, leur imagination et leur volonté d’entreprendre et les redistributions sociales qui permettaient à chacun d’avoir une certaine confiance dans l’avenir.
Quand j’entends Emmanuel Macron dire haut et fort qu’ « il faut des jeunes français qui aient envie de devenir milliardaires » je suis consterné. Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment un fleuron de notre système éducatif, au parcours exemplaire, éminent représentant de ce que nous appelons « notre élite » peut-il penser exalter la jeunesse d’un pays avec de tels propos ? Que cela soit sa propre ambition est déjà gênant, car il est ministre de l’économie, et il devrait savoir, comme écrivait le philosophe Alain (mais l’a-t-il seulement lu et compris ?) que « le bonheur ne dépend pas de ce que l’on a mais de ce que l’on fait, de notre capacité à agir. Le bonheur est une façon de faire 4»
Pourtant, elle n’était pas si mal partie, cette Europe qui, à ses débuts, prenait en compte les nations qui la constituait. La Politique Agricole Commune a permis de développer des filières qui permettaient de rééquilibrer le « tout-industrie » et avancer ainsi vers une plus grande autonomie, mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Si l’Europe n’est pas capable de nous faire miroiter autre chose que des bilans comptables, générateurs de politiques d’austérité, de chômage et de misère sociale, elle est vouée à l’échec. Si on considère que la mise en place d’une monnaie unique représente à lui-seul l’objectif final de plus de soixante-dix ans de tergiversations et de gesticulations, était-ce vraiment la peine de se lancer dans un tel projet aussi inutile qu’incertain ?
1 C’était de Gaulle A Peyrefitte Tome 1 p293
2 Georges Friedman est le PDG de la société Strafor, appelée également « la CIA de l’ombre »
Il est intervenu lors d’une conférence de la section de Chicago du CFR (Council for Foreign Relations) en février 2015
3Le Transall a remplacé le Nord 2500 comme avion de transport militaire pour l’Allemagne et la France. 160 exemplaires ont été produits à partir de 1963 et a permis aux équipes françaises et allemandes de se côtoyer.
4 Emile Chartier, philosophe connu sous le nom d’Alain, a écrit « Propos sur le bonheur » qui est un recueil de textes philosophiques dans lesquels il donne une approche originale et moderne du bonheur.
Jean Goychman
Osons le mot « christianisme » dans sa grandeur, à l’origine de notre belle civilisation européenne, et non dans ses failles …humaines… et nous reconstruirons tout, Europe ou Nation…
Sinon, osons le mot « transcendance » uni au mot « laïcité » bien compris, allié à la tolérance, face au matérialisme athée, et nous reconstruirons tout…