La libre concurrence glorifie le marché et tue la démocratie.
La liberté de concurrence, comme tout ce qui commence par « liberté » ne peut qu’attirer la sympathie. Chacun a le droit de faire concurrence à qui il veut, où il veut et quand il veut.
C’est beau comme l’antique. Les consommateurs que nous sommes se frottent les mains de plaisir en pensant que les prix vont baisser, que les situations de monopole vont disparaître, bref, que tout va être idyllique dans le « meilleur des mondes ».
Le libéralisme économique arrive en Europe par ce qu’on appelle l’ « Ecole Autrichienne » elle-même inspirée par l’ « Ecole de Salamanque » C’est Francisco de Vitoria, s’inspirant de Thomas d’Aquin, qui a fait évoluer la pensée en s’affranchissant du « dogme » de l’Eglise qui régenta it le Droit, la Justice et la Morale. On ne recourrait plus aux textes sacrés et on faisait intervenir la Raison.(Siècle des Lumières) dans les domaines précités.
Par voie de conséquences, un « Droit de la Personne » s’est développé, ainsi que la « souveraineté » de la Personne Humaine. Il en découle une sorte de séparation des pouvoirs ; le Roi ou l’Empereur n’ont pas de pouvoir sur les âmes et le Pape n’a pas de pouvoir politique ou temporel. Le peuple devint donc détenteur de la souveraineté de la Nation.
Sont ainsi apparus les droits à la libre circulation des idées, des personnes et des biens. Le commerce devenait une activité recommandable, et les marchands du Temple récupéraient une sorte de statut d’ « honnête homme », leur activité n’étant plus condamnée. La propriété privée fit son apparition et avec elle la possibilité d’accumuler des richesses autrement que par héritage. Notons aussi que c’est cette même « Ecole de Salamanque » qui trouva des raisons pour justifier l’ « usure » des prêts d’argent (Intérêts perçus suivant un taux convenu et proportionnels à la durée du prêt)
Pardonnez-moi ce long rappel des travaux de l’Ecole de Salamanque, mais ne perdons pas de vue que les premiers colons à s’implanter en Amérique furent les Espagnols. Ces principes se sont naturellement déclinés dans le domaine économique.
C’est de cette façon que naquît le libéralisme économique. Il allait être complété au fil du temps par les différentes « écoles ». Une fois admis les principes du commerce libéral, la question de la réglementation émergea. Adam Smith, philosophe écossais, développa le concept de « la main invisible du marché » Pour faire court, Smith pensait que le marché était « autorégulateur », c’est-à-dire que tout excès dans les prix pratiqués favorisait l’apparition d’une concurrence qui allait faire baisser lesdits prix. Smith était un « moralisateur » qui pensait que l’instinct de survie d’un groupe ou d’une collectivité l’emporterait sur les comportements individualistes. Et c’est là tout le problème actuel.
Soit Smith avait raison, et toute réglementation devenait inutile ou presque, en raison de cet aspect moral, soit il avait tort et l’intérêt et le profit individuel allait prévaloir sur toute autre considération. C’est malheureusement ce qui s’est passé. En 1912, James Madison, 4ème président des Etats-Unis déclarait : « La propriété privée et la Démocratie sont incompatibles » Il défendait même l’idée que la marche de la Nation devait être confiée à « la part riche de la nation… » Il considérait donc que seuls les riches étaient capables de gouverner.
A la fin de la seconde guerre mondiale, un courant de pensée né aux Etats-Unis s’est imposé dans le monde occidental. Enseigné à Chicago par Milton Friedman, il militait pour une déréglementation tous azimuts. Le rôle des états en tant que régulateurs économiques devint de plus en plus contesté, et on vit arriver à la fin des années 70 les grands mouvements de privatisation et la disparition des monopoles.
Naturellement, l’Europe ne fut pas en reste et les bases « libérales » du Traité de Rome furent
renforcées par l’adoption de l’ « Acte unique » entré en vigueur en 1987. Ce traité, établi en vue de la réalisation du « marché unique » faisait disparaître les derniers bastions de l’économie « organisée » et des accords bilatéraux au sein de l’UE. Il faut se rappeler qu’avant d’être acquise aux thèses du néo-libéralisme, la Gauche avait procédé dès son arrivée au pouvoir en 1981, à une vague sans précédent de nationalisations. Une ère de « privatisations » succéda à celle des nationalisations et on commença à brader le potentiel industriel français.
Les privatisations n’ont rien eu à envier à celles qu’avaient exigé en leur temps, le Fonds Monétaire International lorsque des pays en difficulté sollicitaient son aide.
On se souvient encore de Thalés proposé à la vente pour un franc par Alain Juppé, Premier Ministre. Encore une fois, le vieil adage s’est révélé exact : Le libéralisme économique privatise les bénéfices et nationalise les pertes. J’ai tenu à rappeler les origines de ce courant de pensée qui a été dévoyé au fil du temps. Les libéraux du 16ème ou 17ème siècle avaient un idéal, qui était de remplacer le dogme religieux par une pensée rationnelle, plus propice au développement scientifique. Le libéralisme d’aujourd’hui est devenu une sorte d’écran de fumée qui dissimule les véritables intentions d’une oligarchie qui entend régner sur le monde en maitrisant la finance et les moyens de production.
Autant une mise en concurrence peut créer une certaine émulation, prélude à des avancées technologiques, autant l’atrophie du rôle de l’Etat en tant que régulateur ne peut que favoriser
les groupes internationaux qui échappent alors à toute emprise de la réglementation. L’un des premiers rôles d’un état démocratique est la redistribution, afin d’assurer une existence décente à ses ressortissants. Priver l’Etat de ses moyens financiers ne peut qu’accentuer les disparités. Le libéralisme tel qu’il est pratiqué dans le monde occidental enrichit essentiellement ceux qui sont déjà riches et appauvrit les classes moyennes. La fabrique des nouveaux pauvres tourne déjà à haut régime et rien ne laisse entrevoir un quelconque ralentissement.
Tous nos dirigeants politiques, qui clament haut et fort leur attachement à la République (et on pourrait penser que pour eux, cette république est cousine de la démocratie) vont pourtant en rangs serrés faire acte d’allégeance à l’ortho-libéralisme bruxellois. Il ne semble pas que cela entraîne chez eux le moindre malaise. Plutôt le sentiment de nous avoir bernés une fois de plus durant leur campagne électorale. Il est paradoxal de voir que ceux qui sont censé faire prospérer l’Etat n’aient de cesse de le diminuer avant de l’abattre.
Le constat est malheureusement sans appel. Le libéralisme économique, alors même qu’il était porteur d’espoir pour le plus grand nombre et que son application aurait dû réduire les inégalités en permettant à une majorité d’entre nous d’accéder à une vie meilleure, n’a réussi qu’à renforcer la position dominante de ceux qui détenaient déjà la réalité du pouvoir économique.
Il est même allé bien au-delà puisqu’il a soumis le pouvoir politique à l’économie et à la finance. Notre système politique se trouve à la croisée des chemins : pouvons-nous enterrer la démocratie et passer à l’ére « post-démocratique » ? Ce renoncement implique de confier la marche du monde à des individus non-élus mais reconnus compétents par leurs pairs. Des exemples récents en Grèce et en Italie ont montré, avec la nomination de Mario Monti et de Lucas Papademos au poste de 1er ministre de leur pays respectif, que c’était plus qu’une simple hypothèse.
Devons-nous au contraire, redonner au pouvoir politique la maîtrise des affaires économiques ?
Il me semble que, compte-tenu de notre Histoire, de notre Culture et de notre tradition humaniste, nous ne pouvons envisager que la seconde solution. Le problème qui se pose alors est de savoir si nous avons encore suffisamment de ressort pour y arriver. Les récents gouvernements français ont montré ce qui s’apparente plus à des velléités qu’à une véritable détermination à engager un processus qui intervertirait l’ordre des choses dans ce domaine.
Jean Goychman
Très bien documenté, votre billet. Merci.
Serait-il possible de créer une fenêtre au bas de votre page, qui permettrait à ceux qui vous lisent, de noter ce qu’ils ont lu , par 1à5 étoiles. Ceci vous permettrait en même temps de compter vos lecteurs.