Gilbert Collard interroge la Garde des Sceaux sur la recevabilité des demandes de QPC
Type de question : QE
Ministère interrogé : Ministère de la justice
Question n° : 52-00038
M. Gilbert Collard attire l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur l’absence de transmission de certaines QPC qui semblaient néanmoins tout à fait recevables . La « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) est le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d’État et la Cour de cassation de se prononcer et, le cas échéant, d’abroger la disposition législative. La question prioritaire de constitutionnalité a été instaurée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Avant la réforme, il n’était pas possible de contester la conformité à la Constitution d’une loi déjà entrée en vigueur. Désormais, les justiciables jouissent de ce droit nouveau en application de l’article 61-1 de la Constitution. La question prioritaire de constitutionnalité doit être posée au cours d’une instance. C’est la juridiction saisie de l’instance qui procède sans délai à un premier examen. La juridiction examine si la question est recevable et les critères fixés par la loi organique sont remplis. Si ces conditions sont réunies, la juridiction saisie transmet la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Le Conseil d’État ou la Cour de cassation procède à un examen plus approfondi de la question prioritaire de constitutionnalité et décide de saisir ou non le Conseil constitutionnel.
Les critères pour que le Conseil constitutionnel soit saisi de la question prioritaire de constitutionnalité sont détaillés par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l’article 61-1 de la Constitution. Ils sont au nombre de trois : – la disposition législative critiquée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; – la disposition législative critiquée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; – la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Aucune des dispositions ci-dessus indiquées n’autorise la juridiction saisie de l’instance à se prononcer elle-même sur la conformité à la Constitution de la disposition législative contestée. Au demeurant les juridictions de l’ordre judiciaire ne sont pas juges de la constitutionnalité des lois. Or la Cour de cassation viole régulièrement les dispositions de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la loi organique du 10 décembre 2009, d’une part en ne transmettant qu’un nombre infime de QPC au Conseil constitutionnel, d’autre part en se prononçant elle-même sur la conformité à la Constitution des dispositions législatives contestées. C’est ainsi que par un arrêt du 22 octobre 2015 (15-16.312, 2ème chambre civile), la Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution de plusieurs articles du code de la sécurité sociale qui interdisent la libre concurrence en matière de protection sociale.
La Cour de cassation a jugé que le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui garantit à tous la protection de la santé, s’oppose « à la liberté contractuelle, à la liberté d’entreprendre et à la liberté personnelle, telles qu’elles découlent de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ». Ce faisant, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a procédé à un arbitrage entre deux textes à valeur constitutionnelle, sortant ainsi manifestement de son rôle. De même, dans son arrêt du 17 décembre 2015 (15-40.038, 2ème chambre civile), la Cour de cassation a jugé que « la disposition critiquée, qui concourt à la mise en œuvre du principe de la gratuité du contentieux de la sécurité sociale, ayant pour objet l’imputation indifférenciée aux organismes nationaux des principaux régimes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole des dépenses de toute nature du contentieux général et du contentieux technique de la sécurité sociale à l’exception des rémunérations des présidents des juridictions et de leurs secrétaires ou secrétaire général, il ne saurait être sérieusement soutenu qu’elle porte atteinte aux principes de l’indépendance et de l’impartialité des juridictions de sécurité sociale et à la garantie du droit à un recours effectif tels qu’ils résultent de l’article 64 de la Constitution et de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 », alors même que lesdits principes sont le fondement de l’Etat de droit en France et ont une valeur constitutionnelle que ne saurait avoir le principe de la gratuité du contentieux de la sécurité sociale.
M. Gilbert Collard interroge Mme le ministre de la Justice sur les dispositions qu’elle entend prendre afin de faire respecter les dispositions qui régissent la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité.
Réponse émise le 4 octobre 2016
La loi organique du 10 décembre 2009 a prévu que, lorsqu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) leur est transmise, le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation décident en toute indépendance et par une décision motivée de la transmission ou non de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, sur la base de plusieurs conditions relatives à la disposition contestée. La Chancellerie n’est informée des QPC sur la transmission au Conseil constitutionnel desquelles le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation sont amenés à se prononcer que, d’une part, si elles sont soulevées dans une instance à laquelle le ministère de la justice est partie, et d’autre part, lorsque la Chancellerie est consultée par le secrétariat général du Gouvernement au sujet d’une demande de QPC relative à une disposition législative relevant des compétences de la Chancellerie. Cette dernière n’est donc pas destinataire de l’ensemble des décisions prises par les deux juridictions suprêmes sur les demandes de QPC qui leur sont soumises. S’agissant des demandes de QPC dont elle a connaissance, la Chancellerie n’effectue au demeurant pas de compilation des décisions du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, ou de leurs motifs, ni de calcul d’un taux de refus de transmission. Les rapports d’activité de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat qui sont rendus publics chaque année contiennent des données statistiques concernant notamment les décisions rendues sur QPC par chacune des juridictions suprêmes. En 2015, la Cour de cassation a rendu 229 QPC, toutes chambres confondues, soit moins qu’en 2014 (355), qu’il s’agisse tant des chambres civiles (97 en 2015 contre 140 en 2014) que de la chambre criminelle (132 en 2015 contre 215 en 2014). Le nombre de QPC enregistrées diminue chaque année, passant de 537 en 2010 à 239 en 2015. Depuis 2010, le pourcentage de non-renvois au Conseil constitutionnel reste élevé mais stable, quelle que soit la chambre, soit 64% tant pour les chambres civiles que pour la chambre criminelle en 2015. Le taux de renvoi en matière civile s’est établi en 2015 à 17%, contre 11% en matière pénale. Les cas d’irrecevabilité ou de renonciation ont représenté 19% des décisions rendues sur QPC par les chambres civiles et 25% de celles rendues par la chambre criminelle. Les tribunaux administratifs ont enregistré 249 QPC en 2015 (contre 274 en 2014) et en ont traité 199 (contre 336 en 2014). Le taux de transmission au Conseil d’Etat s’est élevé en 2015 à 13,5% (27 QPC transmises) contre 8% en 2014 (27 QPC transmises également). Les cours administratives d’appel ont également enregistré moins de QPC en 2015 (115) qu’en 2014 (123). Elles en ont traité 89 en 2015 (contre 65 en 2014) dont 3 ont été transmises au Conseil d’Etat (3,5%), contre 11 en 2014 (16,9%). Le Conseil d’Etat a enregistré, en 2015, 160 QPC (contre 180 en 2014), dont 125 posées directement devant lui, 30 transmises par les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, et 5 par les juridictions administratives spécialisées. Enfin, le Conseil d’Etat a traité 175 QPC en 2015 (contre 170 en 2014), dont 46 ont été transmises au Conseil constitutionnel (contre 43 en 2014), 83 ont fait l’objet d’un refus de transmission (contre 102 en 2014) et 46 n’ont pas été examinées pour cause d’irrecevabilité, de non-lieu ou de désistement (contre 25 en 2014). Le taux de non transmission s’est ainsi élevé à 47% en 2015 très en deça de la moyenne observée les années précédentes (60%). Le site internet du Conseil constitutionnel contient une rubrique qui recense depuis l’entrée en vigueur de la loi organique du 10 décembre 2009 les décisions de non renvoi de QPC rendues par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat.
Merci Gilbert , je comprend , nous comprenons et ils comprendrons.