Le cabri a encore bondi – Jean Goychman
Apres plusieurs semaines durant lesquelles ils ont essayé de nous faire peur, les dirigeants européens ont une nouvelle fois, par un de ces « bonds de cabri » évoqué par de Gaulle il y a cinquante ans, tenté de nous faire croire qu’ils avaient sauvé l’euro et, par voie de conséquences, l’Europe.
Après un suspens torride, digne des meilleurs Hitchcock, nous avons appris, en retenant notre souffle, que la Grèce avait obtenu quatre mois de sursis. Pourquoi quatre mois, et pas six, ou deux ? Où pourquoi pas l’inverse du nombre Π exprimé en année, histoire de faire grec…
Que peut-on tirer d’une telle décision ? Rien, ou pas grand-chose, si ce n’est qu’une fois de plus l’Europe est apparue, sur ce sujet comme tant d’autres, totalement divisée et incapable de prendre une vraie décision. Il y a bien des points d’accord : la Grèce n’aurait jamais du rentrer dans l’euro, on n’aurait pas du laisser dériver ses comptes comme çà et toutes les banalités d’usage…
Mais il y a surtout des points de désaccord profond. Certains disent que la Grèce doit quitter l’euro, d’autres disent qu’elle doit avant tout rembourser ses dettes, d’autres encore qu’elle doit enfin soumettre les Grecs à l’impôt, se résigner à faire un cadastre, vendre ses « bijoux de famille » (du moins ce qu’il en reste) à des acheteurs privés. Bref, vous avez compris, chacun détient la clé. Il ne manque que la serrure…
Histoire de montrer qu’on garde quand même la maîtrise du bazar, on nous raconte que le gouvernement Grec à trois jours et pas un de plus, pour signer une reddition en rase-campagne. Que cherche-t-on exactement ? Parce que nous, bien que quantité négligeable soumise à la volonté de ces êtres supérieurs que sont les dirigeants européens, on aimerait bien comprendre, même si nos capacités sont limitées, vers quoi tout cela nous mène. Est-ce quelqu’un pourrait, du haut de l’Olympe, nous dire clairement où va ce projet européen ?
Jusqu’à présent, les bonds successifs du cabri ne nous ont pas permis de trouver une ligne directrice. On constate simplement que plus le temps passe et moins on nous en dit. Quelques petits exemples récents :
Une pétition signée par plus d’un million de personnes de différentes nations européennes demandait un examen par le Parlement de l’état des négociations sur les accords de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Europe (TTIP pour « Transatlantic Trade and Investment Partnership ») a vu sa demande rejetée (1) par la Commission Européenne. Ceci s’est passé en décembre 2014, il y a moins de deux mois. En avez-vous entendu parler ?
Quelques temps avant, une autre décision de la même Commission Européenne est passée tout aussi inaperçue. Il s’agit ni plus ni moins que d’interdire l’exploitation des semences « non enregistrées ». Ainsi donc, la Commission impose à tous les cultivateurs de n’employer que certaines semences (2), ceci pour le bénéfice évident de toutes les grandes multinationales de l’alimentaire.
Enfin, une petite dernière, juste pour la route : combien de gens savent que la Commission Européenne a d’ores et déjà signé un accord avec la Turquie autorisant la libre circulation des Turcs dans les 26 pays de l’Espace Schengen (3) à partir du 1er janvier 2017 ?
Ainsi donc, les instances européennes ne font pas que « des bonds de cabri » ! Malheureusement, beaucoup de leurs décisions sont prises à l’insu des peuples, car la « sphère médiatico-politique » préfère nous montrer le rodéo du cabri plutôt que l’atmosphère feutrée
des bureaux de la Commission dans lesquels s’élaborent, sous l’obséquieuse insistance des « lobbyistes » de tout poil, les règlements qui, au fil du temps et de manière insensible, vont conditionner notre vie de citoyen.
Alors, la Grèce, dans tout çà, me direz-vous ? En réalité, le sort de la Grèce n’intéresse pas vraiment les gens qui dirigent l’Europe. Les dettes grecques détenues par les banques ont été transférées aux contribuables que nous sommes par décision de nos responsables politiques, dont la seule ligne d’action lors de la crise de l’euro de 2011 était de sauver les banques à tout prix. Ce danger étant circonscrit, que la Grèce fasse aujourd’hui défaut est le dernier de leurs soucis. Seulement voilà, il y a l’euro. C’est beaucoup plus parce qu’ils craignent que le départ de la Grèce de la zone euro ne lui soit fatal, compte tenu sa fragilité due à l’impasse totale en matière de fédéralisme européen, qu’ils préfèrent continuer à financer ce puit sans fond qu’est devenue la Grèce.
Cette politique à la « Gribouille » ne mènera bien évidemment nulle part et la Grèce, dès que le robinet sera fermé, devra quitter l’euro pour retrouver une monnaie plus en rapport avec son économie. Tous le savent mais personne ne veut le dire clairement. Les dirigeants Allemands le sous-entendent volontiers, mais ne veulent pas porter le chapeau seuls.
Retenons simplement de cette histoire que la première victime sera la démocratie. Un peuple réputé souverain vote pour élire ses représentants dont le programme parait conforme à l’intérêt de la nation et on lui imposerait de continuer à subir un traitement qui manifestement le mène au chaos.
Il serait plus que temps que les dirigeants de cette Europe s’aperçoivent qu’elle est composée de différents peuples qui ont su construire des nations, auxquelles ils sont attachés. Ils n’entendent pas les voir disparaître comme des victimes expiatoires sur l’autel du libre-échange simplement dans le but d’enrichir encore davantage un petit groupe qui possède déjà la plus grande part des richesses de la planète.
Jean Goychman
(1) Cette demande traduisait une crainte due à l’émergence probable de « tribunaux arbitraux » devant lesquels les sociétés de droit privé peuvent attaquer les Etats souverains si elles estiment qu’ils ne respectent pas les règles de concurrence qu’elles éditent elles-mêmes, grâce à un lobbying omniprésent. La cible principale des lobbyistes étant la Commission Européenne, on devine facilement sa réaction…
(2) En fait, ce problème dépasse largement le cadre européen. Une preuve supplémentaire de l’allégeance de la Commission à la finance internationale :
http://www.grain.org/article/entries/5082-les-accords-commerciaux-criminalisent-les-semences-de-ferme