J. Goychman : « L’euro, une autoroute sans sortie qui mène…nulle part ! »
Créé à un moment où les autoroutes symbolisaient la rapidité, le débit, la communication, la mobilité, les promoteurs de la monnaie unique ont volontiers comparé l’euro à une autoroute.
Sympathique au départ, ce concept risquait de trouver rapidement sa limite.
Avant sa mise en service, la classe politique, les journalistes, les « faiseurs d’opinion », bref, tout ce qui compte –ou croît compter- dans notre pays, rivalisait dans le superlatif pour qualifier l’utilité et le bien-fondé de la démarche.
D’un seul coup, les monnaies nationales étaient ringardisées. Certains allaient même plus loin en faisant porter au franc le poids de notre dette et en le désignant comme source universelle de nos malheurs économiques. Les taux d’intérêts trop élevés, c’était la faute du franc. L’inflation qui faisait que les prix augmentaient plus vite que les salaires, le déficit du commerce extérieur (et j’allais ajouter la mévente du chou-fleur breton) encore et toujours le franc.
Tout cela n’avait qu’un seul objectif : remplacer quoi qu’il advienne le franc par l’euro. Pourtant, certaines interrogations se faisaient (timidement) entendre ; remplacer douze monnaies nationales contrôlées par un nombre égal de banques centrales ne présentait-il pas le risque de voir la future BCE s’émanciper un peu trop des contingences « européennes » pour suivre une politique guidée par d’autres critères. Certes, au moment du référendum de 1992, la « Règle de Taylor* » n’avait pas encore été énoncée, mais les dirigeants des banques centrales faisaient, comme monsieur Jourdain, de la prose sans le savoir …
Une monnaie unique impliquait nécessairement une banque centrale unique pour la zone euro.
Cet aspect n’a été que très peu abordé lors de la campagne de 1992. Pourtant, le sujet était important et aurait mérité qu’on y consacre plus d’attention. Car le problème était de taille.
Douze monnaies, contrôlées par douze banques centrales différentes allaient se fondre en une seule contrôlée par une banque centrale unique. Cela impliquait également une règle de Taylor unique là ou avant il y en avait une par établissement bancaire central. Malgré les précisions demandées par certains « esprits chagrins » au sujet du fonctionnement de la future BCE, ce point resta dans l’obscurité. Tout au plus savait-on qu’il existait un consensus pour que le paramètre principal de pilotage de la BCE soit celui de la réduction de l’inflation avec un objectif situé autour de 2% l’an
Il est intéressant de noter que l’adhésion à ce système monétaire était « à sens unique » Aucun article du Traité de Maastricht ne prévoyait qu’un membre signataire décide de revenir à sa monnaie nationale ou adopte une autre monnaie. Omission, me direz-vous ? Pas si sûr !
Pour les inconditionnels du fédéralisme européen, ce traité constituait le premier étage d’une fusée qui en comportait au moins deux, voire trois. L’objectif final était naturellement d’obtenir un Etat Européen « supranational » qui allait fédérer les autres en réalisant ces fameux « Etats-Unis d’Europe » Il fallait donc dès le départ interdire toute sortie pour que ce futur fédéralisme s’applique à la totalité des états membres. La zone euro définissait en quelque sorte le « périmètre de fédéralisation »
Seulement voilà, ces mécanismes complexes élaborés dans l’ombre sont sujets à certains aléas. Le second étage de la fusée ne s’est pas allumé, probablement en raison d’une forte opposition des peuples qui n’avaient pas préalablement été consultés et notre euro s’est trouvé en orbite basse, condamné à tourner en rond indéfiniment sans que quiconque puisse s’en éloigner. Après une période relativement euphorique durant laquelle on a pu croire que c’était gagné, que l’inflation ralentissait alors que la croissance se maintenait, le tout avec des taux d’intérêts voisins et relativement bas pour tous les pays de la zone, les problèmes apparurent.
Alors que les « critères de convergence » imposés à chacun des postulants auraient dû constituer une raison majeure d’exclusion en cas de non-respect, il est apparu que, dans les faits, ils n’avaient aucune importance pour le maintien dans la zone. Le problème de la confiance mutuelle des états-membres les uns envers les autres s’est alors posé et un climat de suspicion relative s’est développé. C’était le danger de cette monnaie unique qui allait obliger ceux qui avait respecté leur engagement à se substituer à leurs partenaires défaillants. Pour parodier le regretté Audiard, « les bénéfices ça se partage, les déficits, ça se cumule »
Et l’accumulation des déficits, lorsqu’on ne peut plus faire marcher la « planche à billets », ça se transforme en dette. Au bout d’un certain temps, les intérêts de cette dette accumulée (ce que notre administration appelle pudiquement « le service de la dette ») finissent par représenter un des postes de dépenses majeurs des états qui financent le déficit de leur budget par l’emprunt sur les marchés. (Environ 50 milliards d’euros chaque année pour la France) Cette surcharge budgétaire augmente donc les besoins de financement, d’où le recours à de nouveaux emprunts pour payer les intérêts. On se retrouve alors dans un système divergent avec une dette dont la croissance devient exponentielle.
Tous les états qui ont expérimenté cette situation n’ont eu que deux solutions :
-Soit dévaluer la monnaie lorsque les emprunts sont effectués avec une monnaie dont ils ont gardé le contrôle, où lorsque lesdites dettes sont convertibles dans cette monnaie. C’est ce qui s’est passé avec l’Allemagne des années 1920, littéralement « écrasée » par la charge financière résultant du Traité de Versailles
-Soit « faire défaut », c’est-à-dire se déclarer « insolvable », avec tous les inconvénients que cela comporte.
Comme disait le sapeur Camembert « Passées les bornes, il n’y a plus de limites… » et on se retrouve donc condamnés à rester sur une autoroute qu’on ne peut quitter et qui nous mène…nulle part. Nous ne pourrons pas nous déclarer insolvable dans l’état actuel pour deux raisons :
La première est que le patrimoine cumulé des français représente environ 6 ou 7 fois le montant de la dette publique, c’est-à-dire la dette contractée par l’Etat et qu’il suffit de faire « main basse » dessus. C’est déjà ce qui se produit au travers de l’ISF***, qui est finalement un impôt prélevé sur un patrimoine privé et qui ne donne lieu à aucune contrepartie de service.
La seconde est justement cette acceptation de l’impôt, qui fait que nous sommes (quoi qu’on en dise) les contribuables parmi les plus faciles à tondre. Si nous regardons la répartition du patrimoine des Français, on prend conscience du rôle redistributif de la démocratie. La « classe moyenne » française est encore une des plus développée du monde, et c’est cette caractéristique qui rend notre pays aussi « attractif » pour les prêteurs en mal de sécurité. L’argument destiné à nous convaincre que seule une politique d’austérité va nous permettre de ne pas augmenter notre dette et donc de nous valoir la « grâce » des marchés ne tient pas.
Si le « défaut » de notre pays ne peut donc être évoqué et si on ne peut sortir de la zone euro, que va-t-il se passer ?
Nous conserverons le cap actuel qui nous mène « nulle part » jusqu’à ce que nos « partenaires » européens nous mettent en tutelle véritable, ou bien, si la chose est impossible, nous excluent d’eux-mêmes de l’Union Européenne, lorsque les banques considéreront qu’elles ont épuisé le filon que nous représentons pour elles. Il est d’ailleurs possible que la zone euro se disloque avant.
Notons bien qu’une sortie de l’euro ne présente aucun danger supplémentaire pour notre pays, par rapport à ceux qu’il encoure aujourd’hui, bien au contraire. Nous pourrions alors effectuer une dévaluation compétitive qui aurait deux effets majeurs :
Une diminution mécanique de la valeur de notre dette qui deviendrait pour sa quasi-totalité libellée dans la nouvelle monnaie.
Un avantage de compétitivité autrement plus important que celui qui découlerait d’une baisse des charges des entreprises, ou même des baisses de salaires dont il est de plus en plus question aujourd’hui.
Enfin, une augmentation de la masse monétaire en circulation, rendue possible par la reprise du contrôle de l’émission de monnaie et pour autant qu’elle irrigue l’économie « réelle » permettrait d’éviter la déflation vers laquelle nous nous précipitons. Cette indépendance monétaire devrait naturellement s’accompagner d’un retour à la situation ou notre banque centrale recommencera à financer les excédents de dépenses publiques sans recourir aux marchés privés.
* La Règle de Taylor est une règle de politique monétaire contemporaine justifiée par la généralisation des « monnaies-dette », énoncée par l’économiste John B. Taylor, en 1993.Elle établit que le taux d’intérêt décidé par la banque centrale doit être relié au taux d’inflation de l’économie ainsi qu’à l’écart entre le niveau du PIB** et son niveau potentiel, qui résulte de l’estimation de ce qui aurait pu être réalisé si tous les moyens de production avaient été pleinement utilisés.
** Le PIB ou Produit Intérieur Brut représente l’ensemble de la production de richesses du pays durant une année. Il permet de « classer » l’activité économique des pays les uns par rapport aux autres. Il représente donc le produit d’une activité évalué avec une monnaie de référence.
*** L’ISF (Impôt de Solidarité sur la Fortune) qui s’appelait au départ l’IGF (Impôt sur les Grandes Fortunes) a été créé en 1982 par le gouvernement Mauroy. Il était issu de l’idée socialiste de la redistribution sociale qui consistait à « faire payer les riches. L’assiette était calculée sur le montant du patrimoine et non plus sur les revenus de l’individu. Il faut noter que les œuvres d’art étaient exonérées de cet impôt.
Jean Goychman
Les Français sont inquiets et ne suivront pas . Sortir de l’euro ( euro – Europe sont intimement lié dans leur inconcient ) .
Les Français sont inquiets et matraqués de toutes parts . Sortir de l’euro comporte pour eux une part non négligeable d’aventure .
Pour des économistes , banquiers , etc… la démonstration peut -être impeccable , mais l’électeur lambda s’intéresse peu à l’économie auquel il ne comprend pas grand chose , souvent par manque de temps ( on ne peut pas tout faire ) .
Ne vaut -il pas mieux mettre l’accent sur la réindustrialisation de la France , la renaissance agricole , une mise en route réelle de la transition écologique …
Une économie est forte quand son appareil productif fonctionne au maximum , ou dans de bonnes conditions , ce qui n’est pas le cas actuellement .