BNP : Où est l’Europe ?
Révélée au grand public que nous sommes, c’est-à-dire ceux à qui on doit dire le minimum et qui ne comprennent rien de toutes façons, il y a quelques jours, l’affaire BNP est en train de « gonfler comme un nuage d’orage ».
Nous apprenons ainsi que cet établissement bancaire français aurait maille à partir avec la justice américaine. Le motif : avoir enfreint des règles d’embargo fixées par l’Administration de ce pays. On parle d’une amende qui pourrait lui être infligée qui serait de l’ordre de 10 milliards de dollars et, peut-être plus grave encore, d’une interdiction d’exercer ses activités sur le territoire américain, qui pourrait être étendue à toutes les transactions libellées en dollars.
Il apparaitrait que, selon le site « Challenges.fr » publié récemment, que notre président se serait fendu d’une lettre au président des Etats-Unis, datée du 7 avril 2014, dans laquelle il « attirait l’attention du Président Obama sur le caractère disproportionné des sanctions envisagées et des risques associés à celles-ci » Apparemment, cette missive n’a pas eu l’effet escompté car début juin, soit 2 mois plus tard, nous en sommes toujours au même point. Toujours d’après ce même site, cette question épineuse devrait être abordée lors du diner de la commémoration du Débarquement.
Alors là, je ne comprends plus.
Soit c’est un problème politique, et on peut concevoir qu’il puisse y avoir une sorte de négociation, une sorte de « deal » comme ils disent, au centre duquel on trouverait un truc genre « traité euro-atlantique », soit c’est un problème de droit. Je ne suis en aucun cas un spécialiste du droit américain, mais il me semble qu’une infraction de type pénal, en l’espèce un délit, n’est susceptible de poursuites que si il est constaté sur le sol fédéral, et si il contrevient aux lois fédérales américaines.
Si le problème est politique, il doit être traité par les instances du même nom. Je crois savoir qu’il existe une entité qui s’appelle l’Union Européenne et qui possède une « haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères » La France faisant partie intégrante de l’Union européenne, pourquoi cette dernière ne s’est-elle pas saisie de ce dossier ? On nous rabâche à longueur de journée que seule l’Europe permet une protection dans ce monde de brutes qu’est devenue la planète mondialisée, que nous sommes incapables de nous défendre tous seuls dans notre petit pays, et lorsque la 1ère banque française (qui est aussi la 1ère banque européenne) est attaquée par une puissance étrangère, aucune réaction européenne. Rien, nada, « business as usual » ! Bref, on fait à Bruxelles comme si de rien n’était.
On nous a pourtant présenté l’accord de supervision bancaire comme une grande étape de la construction européenne, destinée à limiter les risques de crise dite « systémique » et lorsqu’un établissement comme la BNP Paribas risque d’être sérieusement ébranlé, là encore, aucune réaction du coté de Francfort.
Si c’est un problème de droit Américain, le délit est-il fédéral ?
Aucune des opérations effectuées par la BNP n’a été faite sur le sol américain et ne met en cause une quelconque filiale américaine de cette banque. Si on comprend bien, on reproche à la BNP uniquement d’avoir réalisé des opérations en dollars, alors que les pays contractant étaient sous embargo américain. Voilà bien tout le piège de cette monnaie ambiguë par nature.
Monnaie fédérale américaine, le dollar est également monnaie de réserve internationale. Il est donc normal de l’utiliser comme telle. Rappelons que ce sont les Américains eux-mêmes qui ont imposé leur monnaie lors des discussions de Bretton Woods en 1944. Cela leur a donné un certain nombre de droits dont ils ont profité, sur les plans économique et financier, mais cela leur impose également des devoirs. Celui de respecter la souveraineté juridique territoriale des nations libres et de leurs ressortissants. Or, admettre le bien-fondé de la procédure revient à accepter que le droit américain puisse s’appliquer partout dans le monde là où le dollar sera utilisé comme monnaie transactionnelle. Dans ce cas, il s’agit implicitement de reconnaître « l’extra-territorialité » des lois américaines et que leur champ d’application peut s’étendre au… monde entier. C’est pas un peu gênant aux entournures pour ce grand pays qui a fait de la Liberté son symbole emblématique ?
Qu’on ne s’y méprenne pas. Le problème est d’importance. Pris isolément, on pourrait évoquer un emballement passager, sorte d’excès de zèle d’une justice américaine littéralement indignée par les agissements confinant à l’escroquerie d’un système bancaire se croyant intouchable. Mais il y a le contexte. Cette prééminence à vouloir dominer le monde semble s’affirmer chaque jour un peu plus et ce qui peut passer en première analyse pour un phénomène isolé, change de nature s’il s’inscrit dans une conjoncture plus vaste.
On peut même aller un peu plus loin : était-il nécessaire de se lancer dans l’immédiat après-guerre dans la construction à l’échelle européenne d’un vaste ensemble, destiné à protéger les nations d’une éventuelle « vassalisation » par l’un ou l’autre des deux « blocs » issus du conflit de 39-45 pour que, quelques décennies plus tard, on voit se réaliser ce qui à l’époque était le plus redouté ?
Cette affaire semble mettre en lumière, une fois de plus, le manque de cohérence des actions menées par l’Union Européenne qui entend imposer aux peuples qui la constitue un traité de libre-échange avec les Etats-Unis et accepterait dans le même temps de se soumettre aux lois américaines en matière de transactions financières. Les Etats-Unis défendent leurs intérêts, quoi de plus normal ? Mais nous devons également, en tant que nation libre et souveraine, défendre les nôtres. L’Union européenne, qui aurait dû monter en première ligne, est une fois de plus, défaillante. Certes, je n’irais pas jusqu’à soutenir que certains concurrents espère tirer profit des déboires de la BNP, mais enfin, la tentation doit être forte…
Il y avait pourtant une opportunité, quelques jours après des élections européennes dont le résultat manifeste est l’augmentation importante du nombre de déçus de tout bord, d’entreprendre une véritable action de caractère à la fois européen et de portée générale.
Ce mutisme et cette absence de réaction ne sont-ils pas, une fois de plus, un témoignage du conflit d’intérêt auquel semblent soumis certains membres des instances européennes dirigeantes ?
Au moment où nous commémorons le 70ème anniversaire du débarquement en Normandie, pardonnez-moi ce bref instant de nostalgie, mais pensez-vous réellement que de Gaulle eut laissé faire une telle chose sans avoir de réaction appropriée ? Conscient de la menace que pouvait faire peser sur le monde une suprématie incontestée du dollar, il avait réussi à prendre les alliés de vitesse avant qu’ils n’imposent à la France le « dollar AMGOT », ancêtre de l’euro et qu’il qualifiait de « fausse monnaie »
Jean Goychman