Jean Goychman – Europe : le réveil des peuples
« On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »
Cette pensée d’Abraham Lincoln trouve sa pleine justification dans l’actualité européenne. La « stratégie du souterrain » telle qu’elle a été appliquée1 dès le début des années 50 ne fait plus recette aujourd’hui. Il y a une sorte de constante de temps de l’ordre de trois générations, disons entre soixante et soixante-dix ans, qui fait que les peuples, séduits au départ par des idées ou des concepts novateurs en apparence, se rendent compte qu’ils ont été bernés, une fois de plus, par une classe politique dans laquelle ils avaient mis leur confiance.
L’idée « européenne » a fait son chemin au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’argument de circonstance était « plus jamais ça ! » en parlant des atrocités de la guerre. La perspective d’une fraternisation de tous les peuples encore ennemis hier, était, comme on dit aujourd’hui dans le « monde des affaires » plutôt vendeuse. Seule ombre au tableau, mais de taille : les peuples subissent les guerres mais ne les provoquent pas. L’objection fut passée sous silence et c’était déjà un fort signe avant-coureur…
En route donc pour l’Europe, qui allait nous apporter le bonheur et la prospérité dans la paix retrouvée. Tant qu’on ne faisait qu’en parler, tout allait bien. Puis vint le temps de la mise en chantier. A ce point, un petit recul dans le temps s’impose. Pour bénéficier du plan Marshall2, les gouvernements européens concernés devaient s’engager en contrepartie à mettre en place une organisation de répartition qui planifierait les aides dans le temps. Ainsi fut fondée en 1948 l’Organisation Européenne de Développement Economique (OECE) qui est l’ancêtre de l’OCDE. Ceci allait de pair avec une initiative en apparence provenant des pays du BENELUX, mais téléguidée par Washington en réalité. Elle ouvrait la porte à l’OTAN afin de se prémunir d’un éventuel retour de la menace allemande en apparence, mais plutôt liée à la « guerre froide » qui se préparait. L’Union Occidentale fut ainsi créée en 1948 comme prélude à l’OTAN née en 1949.
Le cadre général étant ainsi mis en place, il fallait maintenant entamer le processus qui devait conduire à la création d’une Europe fédérale et supranationale. Afficher les choses clairement eut à coup sûr condamné la démarche. Une autre méthode fut utilisée, basée sur trois actions simultanées :
En premier lieu, se doter d’institutions communes, donc supranationales, ayant compétence dans des domaines précis et limités.
Ensuite, diminuer très progressivement la souveraineté des Etats, au fur et à mesure de la progression du point précédent.
Enfin, faire ceci le plus discrètement possible en évitant les questions qui pourraient survenir.
Et ceci est une constante de ce processus. Toujours mettre les peuples devant le fait accompli est devenu le mode de fonctionnement depuis plus de soixante ans3. On évite, on esquive, on nie s’il le faut, puis, lorsque les choses sont devenues irréversibles, on dit qu’il est trop tard pour les changer.
Ces bases pour le moins incertaines répondaient de fait à un seul impératif : faire en sorte que les peuples ne se rendent compte de rien, et surtout pas du but ultime, qui était de mettre en place le terreau de la mondialisation économique destinée à transformer le monde en une vaste zone de libre-échange financièrement dirigée par un « so few » (une oligarchie, comme on dit aujourd’hui) qui a su être suffisamment patiente pour arriver, de proche en proche et par petites touches successives quasi insignifiantes, à réaliser la plupart de ses objectifs intermédiaires. Remarquons au passage qu’il n’a jamais été question de mettre en route une « Europe-puissance » dont le pré-requis aurait été la constitution d’une Europe-politique.
Au-delà de la controverse historique pour savoir si la déclaration prononcée par Robert Schuman était la traduction française d’un texte américain, ce que semble laisser entendre François Roth4, l’hypothèse d’une construction européenne fortement influencée voire carrément téléguidée par l’administration américaine apparaît chaque jour un peu plus vraisemblable.
Cependant, on peut comprendre que le désir de voir instaurer une « Europe de la paix » ait été le moteur essentiel de la démarche et cela justifiait, à lui-seul et à l’époque, le projet. Nos parents et grands-parents sortaient d’une guerre qui avait causé 50 millions de morts (Europe + URSS , civils et militaires). L’argument avait donc porté. Mais les peuples ont commencé à se rendre compte que la paix entre européens ne suffisait plus à justifier la construction d’un ensemble qui pesait de plus en plus sur leur vie au quotidien, tout en laissant de moins en moins de pouvoir à la représentation populaire. En un mot, cette Europe leur échappait tout en les éloignant les uns des autres, alors qu’elle était censée les rapprocher. Et les premières questions sont apparues. En tout premier lieu, l’Europe telle qu’elle est proposée aux peuples, est-elle encore démocratique ?
Cette question, à peine posée, en entraîne une seconde : avons-nous, nous les peuples européens, une vision de la démocratie identique à celle de nos dirigeants ?
De toute évidence, non. La vision européenne de la démocratie consiste simplement à imposer des règles communes et la seule chose que peuvent encore faire les élus est de nommer les dirigeants choisis parmi une oligarchie autoproclamée. Une illustration récente est donnée par le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Junker, déclarant qu’ « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » Nous voici donc prévenus, nous somme bel et bien dans l’ère post-démocratique. Nous sommes dans l’Union Européenne, et nous devons y rester. Nous n’avions pas, en fait, la possibilité de dire « non » au référendum de 2005, mais nous ne le savions pas encore.
L’oligarchie européenne a cru que l’affaire était définitivement réglée du fait qu’aucun peuple ne s’était révolté après le tour de passe-passe du Traité de Lisbonne. Il faut dire que l’enfumage a été total. En France, on a sorti le joker du Congrès, avait avoir un peu tordu la Constitution, mais Nicolas Sarkozy, expert illusionniste, a su choisir le moment opportun.
Un traité pouvant en cacher un autre, et toute perte de souveraineté devant obligatoirement en entrainer une autre, nous avons eu droit au traité budgétaire dit « de la règle d’or ». François Hollande, autre illusionniste, s’était pourtant engagé, tant son désir de succéder à Sarkozy était fort et dans un moment d’euphorie du aux applaudissements, à le renégocier.
Mais pour qui nous prennent-ils, tous ces gens-là ? Des poissons rouges dans un bocal ? Un engagement public est un acte d’honneur. En quoi une élection devrait-elle libérer les élus de leur parole ? Personne ne leur a tordu le bras pour qu’ils expriment leurs projets. Alors, aujourd’hui, ce petit monde très fermé sur lui-même commence à réaliser qu’un peu partout en Europe les peuples commencent à grogner et, pire que cela, ils commencent aussi à voter, et, de leur point de vue, mal voter. Alors, ils peuvent toujours nous dire que tout est en train de s’améliorer, qu’on commence à voir le « bout du tunnel », que l’essentiel de la crise est derrière nous, plus personne n’y croit.
Nous sommes lassés de toutes ces visions euphorisantes et partisanes. Le chômage, loin de diminuer, poursuit son inexorable montée. Les impôts augmentent encore et toujours, et seuls quelques rares pays semblent encore épargnés. Cependant, même parmi ceux-ci, on sent poindre un vent de contestation du système. L’Autriche, pourtant « bonne élève » assiste à une remise en question par son peuple de son appartenance à l’Union Européenne. La Cour Constitutionnelle, après avoir rejeté l’idée d’un référendum populaire, a dû s’incliner.
L’Angleterre, restée hors de la zone euro, va se poser la même question et même l’Allemagne n’est pas en reste. On veut considérer que ce qui se passe en Espagne, en Italie, en Grèce, en Hongrie, au Portugal, en Pologne et en France ne sont que des cas isolés.
Et les dirigeants européens restent imperturbables. Comme murés dans leurs certitudes. L’Europe ne marche pas car il n’y a pas assez d’Europe. Ce degré de négation de la réalité n’est-il pas, en lui-même, le pire des aveux d’impuissance ? En fait, l’avenir de l’Europe ne les intéresse que dans la mesure où ils pourront garder privilèges et prébendes qui vont avec leur statut. Il suffit de voir comment le Parlement Européen appuie les décisions de la Commission pour comprendre combien les peuples sont tenus pour quantité négligeable et, somme toute, plus gênants qu’autre chose.
La prochaine, qui sera peut-être la dernière, est probablement la plus difficile à réaliser. Il faut maintenant rassembler tous ces gens animés par le même esprit de liberté et de démocratie pour sauver ce qui peut encore être sauvé et ramener le cap dans la direction que nous n’aurions jamais dû quitter, qui est celle de l’Europe des Peuples indépendants et des Nations souveraines. Tout ce qui, durant des décennies, apparaissait comme impossible à réaliser, se fera alors, et de la façon la plus naturelle qui soit.
1 La stratégie du souterrain consiste à agir de la manière la plus discrète possible, avec un minimum de gens informés, de façon à ce que tout se passe « sous-terre » et ne réapparaisse à la surface que lorsque les choses ne sont plus modifiables
2 Le gouvernement américain, sous couvert d’aider le redémarrage des pays européens mis à genoux par la guerre, a fourni une aide financière et matérielle. Ce plan n’était toutefois pas exempt d’arrière-pensées.
3 Déclaration du 09 mai 1950 http://www.robert-schuman.eu/fr/declaration-du-9-mai-1950
4 Lire à ce sujet l’article consacré à R SCHUMAN sur le site de François ASSELINEAU : https://www.upr.fr/wp-content/uploads/2011/02/UPR-DOSSIER-DE-FOND-LA-FACE-CACHEE-DE-ROBERT-SCHUMAN-f%C3%A9vrier-2011.pdf (UPR 60 avenue de la République, 75011 PARIS)
Jean Goychman
je ne suis evidemment pas étonnée ni choquée de ces propos, étant donné que j’avais vu juste il y a 10 ans…. mais je reste stupéfaite qu’il y ai encore des gens qui n’ouvrent toujours pas les yeux et qui croient encore que l’Europe prends soin d’eux et les protèges!
Ca me désespère….
Merci Monsieur