Jean Goychman – Adieu l’euro, j’ t’aimais pas bien….
A peine (momentanément) sorti des rapides de la crise grecque, François Hollande s’est emparé des micros de l’actualité pour annoncer qu’il fallait faire un gouvernement économique de la zone euro. Pourtant habitué au « parler technocratique » de nos élites « étatiques » depuis Michel Rocard 1, je me suis interrogé sur le sens du propos. Un gouvernement, tout le monde connaît. Mais un gouvernement économique, qu’est-ce que ça peut bien être ?
Depuis 2005, le mot « fédéralisme » est devenu tabou, donc il ne doit plus être prononcé. Alors on contourne, on biaise, on dit les choses autrement, mais dès l’instant où la zone gouvernée regroupe plusieurs Etats, comme aurait pu dire Michel Audiard : « je ne veux pas parler de fédéralisme, mais il y aurait quand même comme un vague cousinage… »
En réalité, François Hollande est un peu acculé à faire cette proposition.
Ce que les médias appellent « la crise Grecque », au-delà du fait qu’elle eut de nombreux rebondissements, est riche d’enseignements :
Le premier est qu’un pays de la zone euro peut quitter cette monnaie, malgré l’absence de clause des traités. La fameuse « irréversibilité « de la zone euro n’existe pas.
Le second est la mise en évidence d’un clivage au sein de cette même zone. Certains Etats voulaient que la Grèce quitte la zone euro, principalement ceux dont l’économie dépend beaucoup de l’Allemagne, alors que les autres, essentiellement situés dans le Sud de l’Europe, ne voulaient pas.
Ce clivage n’est pas nouveau. Les pays du Nord, de religion « Protestante » croient en la « valeur absolue » des règlements, qui doivent être respectés en toute circonstance. Ceux du Sud, de tradition latine, pensent l’objectif à atteindre prime sur les moyens utilisés. En gros, c’est « la fin justifie les moyens »
Mais il y a aussi une autre constatation qui doit être faite. En y regardant d’un peu plus près, comment ne pas voir que les partisans du « Grexit 2» sont ceux dont la santé économique est la meilleure. Le chômage y est bas, la dette publique contenue, l’équilibre budgétaire maintenu. Bref, ceux qui ont réussi à rester à l’intérieur (ou presque) des critères dits « de Maastricht » Lorsqu’ils réclamaient la sortie de la Grèce, ce n’était pas une simple posture de négociations. L’Allemagne, menée au sein du conseil des ministres des finances par Wolfgang Schauble, ne plaisantait pas ; il voulait que la Grèce quitte l’euro et il était prêt à l’aider.
Normalement, partout ailleurs qu’en Europe, cela aurait dû conduire à une suspension sine die
de la réunion, mais l’esprit latin a toujours eu tendance à interpréter différemment les choses, même si elles sont claires. Personne, apparemment, n’a voulu aller au moment de vérité. Pourtant, les conditions étaient réunies. Les opinions étaient tranchées et il fallait poser LA question aux partisans du grexit : comment voyez-vous les choses après, concernant le futur de la zone euro ? Deux des grands principes qui ont –parait-il- présidé à l’avènement de cette monnaie unique venaient d’être mis à mal et on voulait délibérément l’ignorer.
Mais il se peut aussi que la question se soit révélée inutile, tant la réponse semble évidente. Enjeu d’une tractation entre François Mitterrand et Helmut Kohl lors de la réunification allemande en octobre 1990, l’euro est apparu plus comme une demande de la France qu’un souhait de l’Allemagne, guère disposée à quitter le mark. Il est probable que des tractations souterraines avec les Américains aient eu lieu dans le même temps car, et on ne le répètera jamais assez, l’euro était une des étapes importantes du « plan mondial » américain. Dans la réalité, d’une manière objective, personne n’avait vraiment besoin de l’euro à ce moment.
Le référendum français de 1992 a été avant tout un élément de politique intérieure avec des arrières pensées présidentielles pour le RPR et l’UDF de l’époque voyait surtout un moyen d’imposer à terme le fédéralisme européen. Bref, tout le monde avançait sous un faux nez…
C’est donc sur des bases incertaines que cette monnaie unique s’est mise en place entre 1992 et 2002. Les faiblesses étaient connues dès le départ, mais personne ne voulait entraver ce projet afin de ne pas apparaître comme le fossoyeur de l’Europe. Jacques Delors, qui est généralement présenté comme l’architecte de la monnaie unique, était persuadé que sa mise en place allait ouvrir à marche forcée le chemin du fédéralisme, réglant ainsi le problème de l’absence de « zone monétaire optimale3 » pourtant indispensable à l’introduction d’une monnaie unique.
L’Histoire en décidât autrement, et rien ne se passa. L’euro, qui devait être un moyen d’aider le développement économique des pays un peu « à la traine » en raison de la confiance qu’il devait susciter auprès des marchés financiers, leur permettant ainsi d’emprunter à des taux très bas, ne tint pas ses promesses dans le temps. Le malheur a voulu qu’au début, les choses se soient effectivement passées comme cela. Les pays ayant le plus de retard à combler ont donc emprunté « à tour de bras » pour se mettre à niveau, encouragés par les organismes financiers qui y voyaient une juteuse source de profits. Or, qui dit emprunt dit également dette à rembourser et intérêts à verser. La solvabilité d’un pays s’exprime essentiellement par un critère qui n’a rien de rationnel, mais qui a été choisi par les économistes faute de mieux. Ce critère est le rapport entre le montant de la dette du pays et le PIB (produit intérieur brut) censé quantifier la production de richesses de ce pays. Tout ceci n’a qu’une valeur relative et permet beaucoup d’interprétations différentes, et les « agences de notation » censées donner un jugement objectif au moyen d’une note exprimée par des lettres, ne semblent pas insensibles à certaines pressions « amicales »
Tout ceci pour dire que le choc de la crise de 2008 fut fatal à l’euro. La conséquence immédiate fut la divergence des taux d’intérêts d’un pays à l’autre. Les pays qui avaient le plus emprunté se trouvèrent fragilisés et subirent cette hausse de plein fouet. On constata une totale absence de solidarité dans la zone euro qui se traduisit par une inégalité de traitement en matière de taux d’intérêt. Les peuples découvrirent avec une certaine stupéfaction ce qu’on avait négligé de leur dire : la BCE ne pouvait financer directement les Etats de la zone euro et qu’il était indispensable de passer par les fameux « marchés » Il n’y avait pas de mécanisme prévu pour empêcher un Etat-membre de faire faillite.
Le temps passant, les écarts entre pays s’accentuèrent, les « florissants » le devenant de plus en plus tandis que les autres s’enfonçaient inexorablement. Le fédéralisme économique, indispensable à la survie de l’euro, impliquait une redistribution interne à la zone. Or, cette redistribution ne peut se faire que si les plus riches acceptent de payer pour les plus pauvres. Différentes possibilités furent envisagées, notamment la « mutualisation » des dettes des pays de la zone dès 2009 en créant des « eurobonds » Comme on pouvait s’en douter, ceux qui avaient à y gagner étaient pour, mais ceux qui devaient payer, comme l’Allemagne étaient naturellement « vent debout » On eut beau faire preuve d’imagination, en inventant des taxes à l’échelle européenne, (taxe Tobin) ou des impôts franco-allemands sur les sociétés, rien ne prospérât.
Dès 2011, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avaient proposé de faire « un gouvernement de la zone euro4 » (Hollande n’a rien inventé) sans résultat apparent.
La montagne accoucha finalement d’une souris, et le seul résultat (si l’on peut dire) fut un accord sur « la règle d’or ». Chaque Etat de la zone devait écrire dans sa constitution qu’il doit réduire ses déficits budgétaires afin d’emprunter le moins possible sur les marchés financiers. En d’autres temps, cela aurait fait sourire qu’un tel aéropage se réunisse aussi longtemps pour arriver à de telles évidences. On a vu depuis que le succès de cette mesure était « mitigé »
On constate que, et on pouvait s’y attendre, que ceux qui demandent « plus d’Europe », c’est-à-dire « plus de fédéralisme européen » sont évidemment ceux qui ont quelque chose à y gagner. Cela me fait penser aux repas des restaurants lorsqu’on y va en bande, après une réunion ou une séance de travail en commun. Au moment de payer, il y en souvent un ou une qui propose de partager l’addition en parts égales. J’ai souvent constaté que les plus demandeurs étaient ceux qui avait commandé les plats les plus chers…
Seulement les Allemands ne sont pas dupes. Qu’ont-ils à gagner là-dedans, hormis une reconnaissance éternelle des autres ? Pourquoi feraient-ils sans contrepartie un cadeau de l’ordre de 200 à 300 milliards d’euros par an pendant plusieurs années en risquant de se mettre eux-mêmes en difficulté ?
François Mitterrand avait compris qu’il avait « une fenêtre de tir » avec la réunification allemande pour « fourguer » l’euro à la place du mark à Helmut Kohl, mais qu’avons aujourd’hui à proposer ? Quant au rôle joué par les Américains, les conditions ne sont plus les mêmes qu’en 1990. Leur zone de libre-échange avec l’Europe est pratiquement actée dans son principe et ils auraient plutôt tendance à voir dans l’euro un concurrent du dollar en tant que monnaie de réserve internationale. Un certain nombre de pays, dont les « émergents » commencent à vouloir s’émanciper du dollar dans lequel ils ont de moins en moins confiance et aimeraient se faire une sorte de « panier de devises »
L’échec de l’euro comme monnaie unique est patent. La situation des pays de la zone est nettement divergente et chaque jour qui passe rend le devis du fédéralisme un peu plus lourd et, à moins d’une nouvelle donne improbable aujourd’hui, sa disparition sous sa forme actuelle semble inévitable et n’est plus qu’une question de temps.
1 Certains de ses « amis » politique l’avaient surnommé « Canal + » car il fallait un décodeur pour comprendre certains de ses propos…
2 Le « Grexit » est un terme inventé par les technocrates qui signifie la sortie de la Grèce de la zone euro
3 Robert Mundell et Marcus Fleming ont inventé (indépendamment l’un de l’autre) un modèle de ZMO (Zone Monétaire Optimale) La zone euro ne remplissait pas les critères définis car :
- Les différents Etats se faisaient concurrence sur le plan industriel
- Leurs économies ne convergeaient pas (malgré les « critères de convergence ») de Maastricht
- Leur poids économiques étaient trop différents les uns des autres
Enfin, les règles fiscales et sociales n’étaient pas les mêmes
4 Voir le site : http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/08/16/sarkozy-et-merkel-veulent-creer-un-gouvernement-de-la-zone-euro_1560270_3214.html
Jean Goychman
Echec de l’Euro? Pour qui? Pour le consommateur…c’est sûr! Le pouvoir d’achat en a pris un coup depuis 2001! L’Europe s’est tiers-mondisée. Mais pour les américains, est-ce vraiment un échec? N’est-ce pas au contraire une politique bien ficelée pour mettre l’Europe à genoux?