Jean Goychman – Europe : l’empire contre-attaque

Bigre, ça commence à chauffer aux frontières de l’Empire. Il faut endiguer ce flux d’immigrés que rien ne semble pouvoir tarir. Pour ne rien avoir vu venir, les pays de l’Union Européenne et la Commission, dont le rôle d’éxécutif s’affirme un peu plus chaque jour, ont été pris au dépourvu. Il faut dire qu’on a pris un malin plaisir à « construire » (si tant est que le terme puisse s’appliquer dans son sens commun) cette Europe hors des réalités et des contingences du monde tel qu’il est. La seule chose importante semblait être l’économie, et une forme particulière d’économie basée sur un principe d’ouverture absolue, non seulement à l’intérieur de l’Union Européenne, mais également entre elle et le reste du monde. Plus rien ne devait s’opposer aux mouvements, ceux des individus comme ceux des biens et de l’argent.

Comment pouvait-on croire qu’une telle configuration n’allait pas produire d’effets pervers ? Ce manque de réalisme, traduisant une sorte d’aveuglement volontaire ou non, a retardé davantage encore des décisions pourtant devenues urgentes. Dans un premier temps, on a préféré nier le problème, laissant monter la pression dans la cocotte, jusqu’à ce que le problème apparaisse dans toute sa dimension. Ce qui a conduit à une sorte de « sauve qui peut » généralisé qui s’est traduit par la fermeture des frontières d’un certain nombre de pays, limitrophes ou entièrement inclus dans le territoire de l’Union.

En l’espace de quelques jours, Schengen avait volé en éclats, et chacun reprenait, au nom d’une souveraineté fraichement retrouvée, le contrôle de ses propres frontières. Pire encore, on vit apparaître barbelés puis murailles. Ce qui démontre que nous avons, plus ou moins enfouis dans nos inconscients collectifs, le même type de réactions face aux mêmes menaces.

Les petits soldats de la « bien-pensance » néolibérale et mondialiste ont vu arriver avec effroi le spectre de la déroute. Tous les efforts réalisés depuis plus de soixante ans allaient-ils être anéantis en quelques mois ? Les peuples, dont chacun connaît l’universelle ingratitude, allaient-ils imposer un dur retour aux réalités ? Allaient-ils forcer leurs dirigeants apparents à revenir aux valeurs de base telles que décrites dans la Charte des Nations-Unies ? Voilà qui serait on ne peut plus fâcheux et qui doit être évité à tout prix.

Quels ont été les moyens utilisés pour faire chuter la pression ? Les plus classiques étant souvent les plus efficaces, le choix s’est porté sur la diversion. Rien de mieux pour aveugler un radar de surveillance que de le saturer avec des échos parasites. Et de ce point de vue, nous avons été gâtés. Je ne m’aventurerais évidemment pas à dire que les odieux attentats dont ont été victimes plusieurs centaines de personnes en plein Paris avait un quelconque rapport avec cela. Les attentats, non, mais l’exploitation médiatique qui en a été faite, suivie de la dramatisation absolue de la « signature » d’un accord arraché aux forceps avec trémolos dans la voix, ont amplement remplis ce rôle. Ces quelques jours de répit ne l’ont pas été pour tout le monde.

D’abord la signature d’un pseudo-accord avec la Turquie, qui se voit sous-traiter le rôle de « ligne Maginot » pour interdire l’accès à l’Europe des migrants syriens et iraquiens. Cà, le côté « vitrine ». Mais il y a aussi un côté « arrière-boutique » qui porte sur le processus de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Qui a pu autoriser la signature d’un tel document ? Le système décisionnel européen est totalement opaque. De même qu’on ne peut connaître la teneur des négociations portant sur le futur traité euro-atlantique, nous sommes tenus dans l’ignorance de décisions pourtant directement liées à l’exercice de nos droits fondamentaux.

Je n’évoquerai que pour mémoire le jeu « trouble » des autorités turques qui, tout en se prétendant partie prenante dans la coalition luttant contre l’Etat Islamique, lui achète cependant son pétrole de contrebande, lui procurant ainsi de quoi financer son existence. Est-il raisonnable de lui confier une mission d’une telle importance ? On retrouve là un des défauts fondamentaux de cette Europe avant tout mercantile qui pense que l’argent peut tout acheter.

Plus choquant encore, la Commission doit présenter incessamment devant le Parlement Européen un ensemble de mesures destinées à transférer à Frontex (1) le pouvoir d’intervenir directement à la frontière européenne d’un Etat membre, et ceci même sans ou contre l’avis dudit pays. Nous voilà donc en présence d’une sorte d’ « Empire Européen » né d’on ne sait quelle volonté et qui se trouve en contradiction totale avec la Charte des Nations Unies. Celle-ci fait référence à la souveraineté inaliénable des nations et se trouve inscrite dans ce qui est ni plus ni moins que le pacte fondateur des Nations Unies.

Il est grand temps de revenir sur les réalités. Quel que soit le désir d’un certain nombre de responsables européens de faire disparaître les nations européennes dans une sorte de magma aux contours indéfinis, il est une évidence qui s’impose à nous pour encore longtemps :

« Les seules réalités internationales, ce sont les nations » comme le disait de Gaulle. Et pour préciser sa pensée, il ajoutait ; « on ne peut pas agglomérer les nations comme les marrons dans la purée »

C’est pourtant ce que tente de faire la Commission Européenne. Son rôle semble échapper aujourd’hui à tout contrôle des peuples européens et la création d’une force à caractère impériale à l’intérieur même de l’Union Européenne doit être immédiatement stoppée.

(1) La mission de Frontex est d’aider les États membres à mettre en œuvre les règles communautaires relatives aux frontières extérieures et de coordonner leurs opérations dans la gestion de ces frontières extérieures. Chaque État membre reste toutefois responsable de la partie de frontière qui se trouve sur son territoire

Jean Goychman