Jean Goychman – Europe : situation normale, tout à foiré !!!
Cette phrase, souvent entendue durant la campagne de France de 1944 prononcée par les soldats américains, montrait que les choses ne se déroulaient jamais comme prévu et que les plans les plus minutieusement étudiés capotaient souvent en raison de l’impossibilité de tout prévoir.L’actualité nous montre que les choses n’ont guère évolué et que, question ratages présents et à venir, les étagères sont plutôt fournies.
Sur le plan national, côté élections primaires version droite, nous devions avoir un Juppé triomphant d’un Sarkozy renaissant, mais ce fut Fillon qui remporta l’épreuve. Version gauche, sept candidats n’ayant à peu près rien en commun si ce n’est, et encore, le désir de gagner au moins la primaire… Sans compter que ceux qui semblent les mieux placés ne participent même pas. Et il parait que les primaires, c’est fait pour rassembler ! Enfin, n’ayons pas la cruauté d’en rire, du moins ostensiblement. On peut néanmoins penser que la suite sera du même tonneau et rendra caduques et dérisoires tout ce qui apparaissait comme certain il y a seulement trois mois.
Mais élargissons le débat à l’Europe. Les grandes migrations semblent lui avoir porté un coup (et un coût) qui peut se révéler fatal. Depuis le temps qu’on nous bassine avec l’Europe (l’image des bonds ce cabri sur la chaise décrite par de Gaulle imprègne indéfectiblement ma mémoire) quel bilan pouvons nous établir ?
Il y a a eu le Marché Commun en 1957. Tout le monde y croyait. C’était la période euphorique de l’Europe. Nous allions faire naître une grande puissance d’équilibre, capable de rivaliser avec les deux blocs Ouest et Est. En 1963, le fameux traité dit « d’amitié franco-allemande » signé entre de Gaulle et Adenauer devait concrétiser cette prise d’indépendance de l’Europe face aux Etats-Unis. Il y eut la « politique agricole commune » à laquelle les Allemands renoncèrent à s’opposer et qui permis un certain essor de l’agriculture française.
Toujours en 1963, on vit apparaître la première coopération aéronautique franco-allemande avec le programme Transall, et qui allait ensuite, dans les années 1970, servir de socle au programme Airbus.
Les choses se sont gâtées à partir de 1971 avec la mise en œuvre du « serpent monétaire européen » qui allait commencer à réduire la souveraineté des Etats en les arrimant les uns aux autres d’une manière tres progressive, jusqu’en 1992 avec l’adoption de l’euro, monnaie unique de la future zone. Par ailleurs, forte de six membres dans les années 60, le périmètre de cette communauté n’a cessé de s’étendre, au-delà même du raisonnable. Après l’arrivée de l’Angleterre, rejetée non sans raison par de Gaulle, au grand dam des Allemands, et finalement intégrée en 1973, on vit l’Europe s’élargir par paquets d’entrées successives jusqu’à réunir 28 membres.
Les règles qui permettaient de faire fonctionner (tant bien que mal) l’Union européenne ont dû être modifiées à maintes reprises. Chaque étape, souvent accouchée « aux forceps » donnait lieu à la signature de nouveaux traités, certains contredisant même ceux qui devenaient caduques. Pourtant, on sentait confusément qu’on voulait nous glisser subrepticement « l’olive du fédéralisme » On peut même penser que le Traité de Nice, signé en 2000, ne l’avait été que pour préparer le traité constitutionnel, rejeté avec vigueur par certains pays dont la Constitution prévoyait le recours au référendum.
Qu’à cela ne tienne, les peuples n’en voulant pas, on décida donc de se passer d’eux et le Traité de Lisbonne fut signé en 2007.
Parallèlement, une autre action communautaire fut entreprise dès 1985 dont l’objectif était de faire disparaître, à terme, l’ensemble des frontières européennes. Ce n’est toutefois qu’en 2004 que fut promulguée la directive 2004/38/CE* autorisant la libre circulation des personnes, après que le fameux « espace Schengen » ait été officialisé par le Traité d’Amsterdam de 1997. On voit donc que toutes ces décisions sont suffisamment étalées dans le temps pour que notre « mémoire de poisson rouge » ne fasse pas le lien d’une étape à l’autre pour s’apercevoir de la direction dans laquelle on voulait nous entraîner. De fait, toutes ces étapes visaient essentiellement à établir une zone de libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux. Bref, ce qu’on appelle communément une zone de libre échange.
Quelle est la situation actuelle ? L’euro, imposé dès 2002, censé accélérer le fédéralisme, a encouragé les « mauvaises pratiques » Endettement exagéré des pays les moins solvables, aggravation des inégalités entre pays importateurs et pays exportateurs, et surtout soutien excessif des banques trop cupides par une politique de création monétaire illimitée qui finit par mettre en péril toute l’économie de la zone. Déjà fragilisé par la crise de 2007, l’avenir de la monnaie unique est incertain. De lourdes menaces pèsent sur lui, même si les europhiles médiatiques (et ils sont nombreux) tentent, comme à leur habitude, de les balayer d’un large revers de main. Pourtant certaines banques, en Italie et en Allemagne, considérées comme « systémiques » risquent la faillite d’un jour à l’autre. Cela entraînerait une crise mondiale qui entraînerait immanquablement l’éclatement de l’euro.
Les phénomènes migratoires sont devenus rapidement incontrôlables et la plupart des pays touchés ont du rétablir leurs frontières. Les « travailleurs détachés » conséquence évidente de la directive « Bolkenstein » ont envahi certains pays d’Europe occidentale, créant ainsi un surcroît de chômage. On estime leur nombre, rien qu’en France entre 500.000 et 800.000.
Ajoutons à cela des crises récurrentes, frappant notamment l’agriculture, qui menacent de plus en plus l’existence même de nos exploitations, et le panorama sera complet. Ainsi, en l’espace de 2 ou 3 décennies, l’Europe du libre échange s’est transformée en une zone de dangers permanents pour ceux qui doivent en subir les effets. De plus, les effets secondaires de la crise de 2008, bouleversant les équilibres budgétaires déjà incertains, ont fait payer aux contribuables, aux retraités et aux travailleurs le prix fort. Et il s’avère, en regardant les programmes de gouvernement de certains candidats, que ce n’est peut-être pas fini…
Nous ne percevons plus la logique économique de ce monde entièrement livré à la finance. On nous demande de faire sans cesse plus d’économies, d’avoir une inflexible rigueur budgétaire, alors même que les grandes banques centrales nous demandent de faire encore plus de dette pour qu’elles puissent continuer à imprimer de la monnaie.
Ce qui devait arriver est en train de se produire. Les peuples n’y croient plus. On le voit, élections après élections. L’ère du mondialisme libre-échangiste est en train de se terminer. Certains cherchent encore à y croire, mais « les faits sont têtus » et l’ensemble des peuples aspire à plus de protection de la part des Etats-nations qu’ils n’ont pas envie d’abandonner au profit d’autres entités mal définies qui leur apparaissent dangereuses pour la démocratie. Les propos tenus récemment par Donald Trump, nouveau président des Etats-Unis, marquent un changement fondamental dans la géographie politique et économique de la planète. L’ère des grands traités de libre-échange semble révolue. Le retour du protectionnisme à le vent en poupe et c’est un mouvement de fond. Pour ne pas avoir voulu respecter les peuples, l’Union Européenne va probablement se disloquer, incapable de se refonder sur d’autres bases idéologiques. Il va maintenant falloir rattraper toutes ces années perdues pour reconstruire un monde qui, du moins on peut l’espèrer, respectera les aspirations, la culture et l’histoire des peuples.
* La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Elle constituait la base juridique sur laquelle s’appuiera la directive Bolkenstein.
Jean Goychman 19/01/2017