Jean Goychman – La Grèce, l’éternel retour ?
Il n’aura fallu que neuf mois, le temps d’une gestation, pour que le problème financier de la Grèce revienne à la une. Le premier signal a été donné par un article de Romaric Godin publié dans « La Tribune » du 04 avril. On y apprenait que le quotidien allemand Handelsblatt venait de réaliser une étude sur la réalité de l’aide apportée à la Grèce depuis les fameux accords de juillet dernier. Alors qu’il avait toujours soutenu le point de vue très répandu en Allemagne que le peuple grec avait toujours refusé les réformes nécessaires et que les travailleurs allemands n’arrêtaient pas de financer leurs déficits abyssaux, il convient de noter un changement de ton important.
D’après cette étude, seulement 5% de l’aide octroyée à la Grèce lui parviendrait, les 95% restants étaient prélevés « à la source » pour rembourser les banques et autres organismes prêteurs. Et en échange de ces malheureux 5%, l’Etat grec à du réduire son PIB de 25%, ce qui est énorme et son administration d’un tiers. Comment un pays, quel qu’il soit, pourrait-il se sortir d’une situation aussi calamiteuse ? Rien de surprenant que la situation financière de la Grèce ne soit encore pire au printemps 2016 que celle de 2015.
A nouveau, on entend monter des bruits de défaut de la Grèce, et, chose pour le moins surprenante, la « restructuration » de la dette grecque, qui avait été écarté d’un large revers de main il y a un an commence à être évoquée de plus en plus fréquemment. Car nous voilà revenus au point de départ. Pire même car la Grèce s’est encore appauvrie par rapport à l’an passé.
Alors, pourquoi cette constante dans l’erreur ? Car le problème est tout sauf nouveau. Il est même consubstantiel à l’entrée de la Grèce dans la zone euro. Et je dirais même qu’il est consubstantiel à l’euro. Sans reprendre en détail l’analyse effectuée depuis des années sur les vices rédhibitoires de l’euro, qui porte essentiellement sur l’absence d’un pouvoir politique dont la juridiction recouvre la zone euro, de l’absence également d’une « zone monétaire optimale »(1) qui lui aurait peut-être donné une chance de survie à terme, sa tare évidente est d’avoir fait croire à certains pays parmi les plus « pauvres » qu’ils pouvaient se conduire comme les pays les plus riches.
Comme chacun sait, l’argent n’a pas d’odeur. L’essentiel est qu’il y en ait. Maintenant, qu’on en dispose sous forme de liquidités ou sous forme de crédit ne fait guère de différence pour celui qui dépense, surtout lorsqu’il s’aperçoit que, grâce à l’euro, le taux d’intérêt a été divisé par quatre. D’un seul coup, ça a été, pour reprendre l’expression du regretté Coluche ; « champagne, les gonzesses arrivent … » Bref, la grande vie. Et il faut dire que les banques des pays « riches » les ont beaucoup tentés en venant d’elles-mêmes leur proposer des mannes financières. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que la situation de la Grèce se soit retrouvée catastrophique le jour où elle n’a pas pu faire face à ces engagements.
Car c’est bel et bien une gigantesque « chaîne de Ponzi » (2) qui s’est mise en place. Au début, la Grèce empruntait avec facilité les sommes qui lui permettaient de rembourser ses premiers prêts. C’est à partir de 2008 que les choses ont commencé à se gâter. La crise des « subprime », partie des Etats-Unis, a vite contaminée les banques européennes, qui s’étaient ruées, avec un féroce appétit de gain facile, sur ces prêts toxiques et les mettant en état de quasi-faillite. Il faut dire que, lorsqu’on invoquait, pourtant à juste titre, l’absence de régulation du système bancaire, tout le monde rigolait. Donc les banques se retrouvent dans une mouise indicible et les premiers à en pâtir sont les pays comme la Grèce, qui ont vu instantanément se tarir le robinet du crédit grâce auquel ils pouvaient payer leurs créanciers.
Dans une telle situation, le défaut (c’est-à-dire la faillite) aurait du s’imposer, aussi bien pour les créanciers imprudents que pour les emprunteurs trop prodigues. Mais le défaut conduisait immanquablement à la sortie de la zone euro. Et ça, impossible. En 2010, DSK, patron du FMI, avait pourtant imaginé un scénario de défaut qui amenait la sortie de la Grèce de l’euro.
Mais les dirigeants européens ont préféré s’accrocher au « radeau de la Méduse » de l’euro plutôt que d’accepter ce qui pouvait provoquer l’éclatement de la monnaie unique. Il est fort probable que des considérations d’ordre personnel n’aient pas été étrangères à ce choix.
Ils ont préféré reporter le fardeau sur les contribuables européens en jouant sur le décalage dans le temps. La BCE a donc mis en route la planche à billets, et ces billets à peine secs ont servi à racheter aux banques européennes les dettes grecques. Bref, encore du Ponzi, mais à la puissance 10. Les banques ont donc été sauvées, mais à quel prix ! Car il fallait bien justifier une contrepartie, coûte que coûte, afin d’endormir les peuples européens dont le désamour pour l’euro commençait à poindre. Et c’est avec une belle unanimité que le coupable a été désigné comme étant l’Etat Grec, incapable de gérer son propre pays et de faire rentrer correctement les impôts.
Comme souvent l’histoire nous l’enseigne, les plus compromis ont été les plus ardents à réclamer des mesures radicales, pensant que leur zèle leur vaudrait absolution et c’est donc une pluie de sanctions qui s’est abattue sur les grecs. En 2014, la situation politique intérieure était devenue intenable et un nouveau gouvernement, dirigé par Alexis Tsipras est arrivé aux affaires en mars 2015. Pourtant fermement décidé, du moins en apparence, à mettre un terme au « oukazes » de la Troïka (réunion improbable de la BCE, du FMI et de la Commission) celui-ci a vite dû déchanter devant l’acharnement de ses interlocuteurs en juillet et, n’osant ou ne voulant pas s’opposer frontalement, a préféré l’option « corde au cou et robe de bure »
Comme d’habitude dans cette affaire, on a encore gagné un petit quart d’heure avant que le bourreau n’accomplisse son office. Et Ponzi est reparti, avec un nouveau tour de vis pour les Grecs. La suite, vous connaissez : incapable de payer sa prochaine échéance, déjà en proie à de nouveaux mouvements sociaux, il est probable que la même pièce se rejoue avec la Grèce, Les mêmes claquements de portes et le même suspens au défaut grec seront au programme. Et comme toujours les dirigeants européens chercheront à gagner un peu de temps, incapables qu’ils sont de prendre la seule décision qui s’impose depuis des années, à savoir un véritable défaut de la Grèce dans lequel chacun devra prendre ses pertes réelles.
Et c’est le même scénario qui risque de se jouer dans les autres domaines, car les nuages s’accumulent à l’horizon. Le Brexit, les réfugiés, le TAFTA, bref, tout va de mal en pis…
Peut-être serait-il temps de demander aux peuples quel type d’Europe ils aimeraient voir se profiler. Visiblement, le fédéralisme ne convient à personne, si ce n’est à quelques nostalgiques qui se voyaient déjà à la tête d’une entité mondialisée sur laquelle la finance aurait régné.
Hormis ces « happy few » l’immense majorité pourra probablement se rallier sur une vision plus confédérale, laissant à chacune des nations sa souveraineté et son indépendance, en accord avec la Charte des Nations Unies et plus conforme à ses aspirations.
Jean Goychman
(1) Une zone monétaire optimale est définie par les critères de Mundell
http://www.alternatives-economiques.fr/ce-que-mundell-a-dit_fr_art_132_13450.html
(2) La « Chaîne de Ponzi » doit son nom à son inventeur .Charles Ponzi
https://www.cafedelabourse.com/lexique/definition/chaine-de-ponzi#
Excellente analyse. Si d’aventure on nous ressert une crise grecque, ce sont tous les dirigeants de l’Europe qu’il faut virer avec pertes et fracas!