Jean Goychman : Preuve par trois, rien de neuf…
Preuve par trois, rien de neuf…
Marine Le Pen a participé à une émission télévisée le 31 mars dernier sur la chaîne Public Senat intitulée « La preuve par trois ». Le présentateur Michel Grossiord lui a demandé son opinion sur les commentaires de deux économistes interrogés avant l’émission et relatifs au programme économique que le FN-RBM propose aux Français. Ces commentaires s’inscrivaient dans le droit fil de la pensée néo-libérale qui a progressivement envahie nos médias jusqu’à se draper dans l’apparence de l’orthodoxie économique.
Jean Louis Mucchielli, premier intervenant, en réponse à l’évocation de la sortie de la France hors de la zone euro déclare que, « dans le contexte d’une situation explosive de la dette, un climat de méfiance vis-à-vis de la dette française, ce qui aurait pour effet de faire monter les taux d’emprunts avec lesquels nous refinançons notre dette »
Il y a là comme une sorte de « double peine » Comment pourrions envisager notre sortie de l’euro, dont le but est de reprendre le contrôle de notre monnaie, sans redonner à la Banque de France la possibilité de racheter la dette française ? Serions-nous à ce point demeurés que nous continuerions à emprunter moyennant intérêts versés l’argent que la Banque de France peut nous fournir sans intérêt ?
Alors, j’entends déjà les cris d’effroi de tous ceux qui, de bonne foi, pense que faire marcher la « planche à billets » va nous plonger dans l’Allemagne de 1923, où la valeur exprimée sur le billet était inférieure à celui du papier sur lequel on l’imprimait, bientôt rejoints par ceux qui, de bonne foi tout autant, pensent que la dévaluation, conséquence mécanique de l’inflation, va augmenter proportionnellement notre dette qui, elle, restera libellée en euros.
A tous ceux-là, j’aimerais faire remarquer deux choses facilement vérifiables:
La première est que la Banque de France est déjà en train de racheter à tour de bras de la dette française au travers du programme de rachat de dettes (appelées pudiquement des actifs) mis en route par la BCE et qui n’est ni plus ni moins qu’un QE1 identique à ceux effectués par la FED2 sans que tous ces experts en économie qui nous prédisent l’Apocalypse se soient manifestés.
La seconde est que l’immense part de notre dette est libellée en devise nationale. Cette dette initialement exigible en francs fut convertie en euros lors de l’entrée en vigueur de la monnaie unique et c’est ce processus quasi-automatique qui se répètera lorsque nous la quitterons.
Ce n’était pas le projet initial de la BCE que de faire racheter une grande partie des dettes publiques des Etats par leur banque centrale, mais c’est pourtant ce qui est en train de se faire. La raison est les dirigeants Allemands ne voulaient pour rien au monde qu’on mutualisât ces dettes. Alors, pourquoi la Banque de France ne pourrait-elle faire demain ce qu’elle fait aujourd’hui pour le compte de la BCE ?
Ensuite, ce fut l’intervention de M Emmanuel Combe qui répondait à Philippe Murer, économiste membre de la Commission Economique du FN, qui proposait une augmentation de 200 euros pour les salaires de moins de 1500 euros. Cette proposition avait comme corollaire de laisser à un niveau constant les charges sociales des entreprises, la différence de recettes au niveau de l’Etat étant compensée par une taxe sur les importations. M Combe dénonçait une mesure « démagogique qui plomberait les comptes des entreprises » et il appuie son propos en dénonçant « le paradoxe » qu’il note entre l’augmentation des salaires et la dévaluation qui en résulterait, aggravée par la taxe sur les produits importés.
Il feuilletait par ailleurs un dossier sur lequel on voyait des courbes s’orienter vers le bas d’une façon quasi-exponentielle, probablement afin de souligner le côté inquiétant de son propos.
Ce genre de « mise en scène » destinée de toute évidence à asseoir la nature « scientifique » du propos, me parait quelque peu « théâtrale » et me fait penser à la petite fiole brandie par Colin Powell durant son discours justifiant l’intervention américaine en Irak, toutes proportions gardées, naturellement.
Mais ne nous égarons pas. Une augmentation de salaire compensée par une taxe sur les importations me parait à la fois équitable et raisonnable. La plupart des pays pratiquent ce genre de choses, et le font souvent d’une façon beaucoup plus contraignante pour les importateurs. Dans la religion néolibérale, toute taxe à l’importation ou toute contrainte pouvant gêner la sacro-sainte liberté de circulation est pire qu’un blasphème. Il est pourtant des circonstances ou un Etat souverain se doit de rétablir une certaine « égalité de chances » entre les produits importés et ceux qui sont fabriqués dans cet Etat. Il est important de noter que ce rééquilibrage qui augmente les salaires sans augmenter le niveau des charges d’entreprise permet de produire à coût constant, et donc de regagner de la compétitivité par rapport aux produits importés assujettis à la future taxe.
C’est justement pour ne pas avoir respecté ce principe élémentaire que l’industrie française se trouve dans cette situation désespérée. Ce processus de destruction de nos emplois industriel s’est engagé il y a plusieurs décennies et est devenu la « chronique d’une mort annoncée »dont le résultat était parfaitement prévisible. Faute de n’avoir pu taxer à un juste niveau les produits importés concurrents de nos productions nationales, nos industriels ont dû se retirer de ces marchés et se résoudre au choix cornélien qui consistait à délocaliser les emplois ou les supprimer.
Alors, tous ces gens qui prédisent le cataclysme économique qui résulteraient de l’application de mesures qui ont pourtant déjà montré leur efficacité, ont-ils mieux à nous proposer ?
Il est facile de dire ce qu’il ne faut pas faire, à condition de proposer une solution qui présente les mêmes avantages. Tel n’est pas le cas. En disant non à tout, on est sûr de rester immobile, et c’est aujourd’hui le plus grand danger qui nous guette.
On peut continuer à se gargariser des bienfaits supposés de l’euro, la réalité est que cette monnaie unique ne possède pas le même pouvoir d’achat d’un pays à l’autre. Partant de ce simple constat, on voit s’éloigner définitivement tout projet de nature fédéraliste pourtant essentiel à la survie de l’euro. Chaque jour qui passe augmente le différentiel économique entre les pays de la zone euro. Le rééquilibrage qui serait le préalable nécessaire à la mise en place d’un tel processus fédérateur devient alors hors de portée, même pour les pays les plus riches et florissants économiquement.
Alors, si le maintien de l’euro semble impossible à terme, quelle est la solution proposée par tous ces gens qui dénoncent les graves dangers présumés de décisions futures alors qu’eux même n’ont rien à proposer pour nous mettre à l’abri des périls qu’ils évoquent.
Lorsqu’on se lance dans une critique systématique de ce qu’entreprennent les autres, mieux vaut avoir un projet concurrent établi sur des réalités factuelles plutôt que sur des lieux communs dont on espère qu’en les répétant à satiété, ils finiront par devenir une « vérité d’évangile »
1 QE signifie Quantitative Easing, qui signifie littéralement « assouplissement quantitatif » En clair, il s’agit pour une banque centrale de « faire marcher la planche à billets » comme le dit le langage populaire. Cette création monétaire « ex nihilo » a pour but de fournir aux banques commerciales des « liquidités » en espérant que ces mannes quasi gratuites inciteront ces banques à prêter de l’argent aux industriels pour développer des projets économiques. Tel n’a guère été le cas jusqu’à présent.
2 La FED est la banque centrale américaine. Elle fut la 1ère à s’engager, lors de la crise de 2008, dans cette politique financière peu orthodoxe (au dire des spécialistes) qui consiste à imprimer de la monnaie en énorme quantité tout en baissant les taux directeurs d’emprunt pratiquement à zéro, voire les rendant négatifs.
Jean Goychman
La messe est dite, excellent, merci Monsieur Le Député.
encore une fois bonne analyse de votre part . Nous en avons assez de la pensée unique les autres partis politiques de faire des propositions cohérentes moi même n’étant pas FN je trouve la mesure d’augmenter les bas salaires de 200 euros compensait par une taxe très pertinentes ce qui gêne beaucoup de monde c’est qu’elle vienne du FN. Dans cette émission j’ai trouvé le journaliste assez méprisant Marine a été une fois de plus d’un excellent niveau.