Jean Goychman – Traité de Rome : faux succès et vrai mensonge
Le 25 mars prochain, les Chefs d’Etat et de gouvernements se retrouveront dans la capitale italienne pour fêter le soixantième anniversaire du Traité de Rome. Au-delà de l’enthousiasme convenu et de circonstance, quel regard peut-on porter sur cet évènement dont l’adulation confine souvent au mysticisme ?
Le contexte des années 50 est encore celui d’un après-guerre ayant profondément modifié la géopolitique du monde. Les Etats-Unis apparaissent comme les grands vainqueurs du conflit, sur les aspects militaires et économiques. Les développements technologiques dus à la guerre, notamment sur le plan des transports et des communications ont pu concrétiser une vision mondialiste présente depuis des décennies dans l’univers anglo-saxon. Les grandes conférences comme la Conférence de Chicago, jetant les bases d’un transport aérien mondial, ou bien les accords de Bretton Woods portant sur une monnaie de réserve mondiale, mais également les accords résultants de Yalta et de Postdam sont tous empreints de cette vision planétaire. La création de l’ONU est venu compléter le tableau dès 1946.
Il manquait cependant un vecteur important pour aller vers un ensemble mondial homogène. Il fallait trouver un support intellectuel à même de justifier l’ensemble de la démarche. Dès 1946, l’Ecole de Chicago, animée par la pensée libérale de Milton Friedman (*) fournit la base idéologique. Initialement né du désir de séparer le pouvoir religieux du pouvoir politique, le libéralisme, dans son aspect économique s’est progressivement transformé en une doctrine minimisant autant que faire se peut l’emprise de l’Etat dans les affaires économiques et commerciales. Cela conduisait naturellement vers une généralisation des échanges entre les peuples du monde, en s’opposant au côté « réglementariste » des Etats, considérés comme des obstacles à cette politique d’échanges généralisés qui prit le nom de « libre-échange »
L’Europe occidentale apparaissait comme un terrain d’expérimentation idéal, au sortir de la guerre, pour valider un tel projet qui, le cas échéant, pourrait de proche en proche, être étendu au reste de la planète, en prévision de la mondialisation future, déjà présente dans les esprits de ses promoteurs. Il restait à trouver les apôtres de la propagation de ce dogme quasi-religieux. On vit alors apparaître les Monet, Schuman, Marjolin et autres Spaak, ventant sans relâche les bienfaits que pouvait apporter une « Europe Unie » Mais il fallait également doter ce projet de ressources financières. L’ « American Comittee for United Europe » (ACUE)(**) fut donc créé en 1948. Organisme privé, financé en partie par la fondation Ford avec la bénédiction du Département d’Etat, il s’était donné pour objectif les 3 points suivants :
- « création d’un parlement représentant les États démocratiques et les peuples de l’Europe libre, avec des pouvoirs effectifs de législation. »
- « abolition des quotas douaniers intra-européens et du contrôle des changes. »
- « garantie uniforme des droits de l’homme et la création d’une Cour européenne pour les faire respecter. »
Bien évidemment, toute ressemblance du second point avec la démarche du traité de Rome de 1957 ne peut être qu’une coïncidence fortuite…Et c’est là tout le problème de cette fausse construction européenne, managée dès le départ par des intérêts purement américains.
Après la ratification et l’entrée en vigueur, en 1957, du Traité de Rome, l’ACUE demeura actif jusqu ‘en 1960, après avoir été dirigé par des membres du renseignement américain (***)
Ce traité comportait pourtant une lacune rédhibitoire : l’agriculture n’y était pas mentionnée. De Gaulle, revenu aux affaires depuis 1958, n’avait pu, en raison du problème algérien, se faire entendre sur ce sujet. Devenue puissance nucléaire en 1960, ayant redressé les comptes de la nation, c’est une France forte qui impose ses vues en 1962 et obtient, non sans réticence de ses « partenaires » que soit créée la Politique Agricole Commune, qui offre à nos agriculteurs les marchés nécessaires au développement de leur activité.
Que reste-t-il aujourd’hui du traité de Rome ?
Pas grand’chose, en tous cas, de l’esprit qui animait les signataires de 1957, confiants dans l’avenir et la promesse d’une Europe pacifiée. Au début, les peuples ont applaudi sans réserve, car ils n’avaient pas encore perçu la réalité de ce qui se tramait à leur insu. Au fil du temps, ce bel enthousiasme s’est refroidi. Le fameux traité, qui devait ouvrir un chemin vers une Europe de coopérations entre les nations –l’Europe des Nations- comme l’appelait de Gaulle, est resté un peu sans lendemain. Alors que les populations attendaient un resserrement des liens des pays du traité entre eux, l’Europe a connu une croissance horizontale. Une sorte de boulimie de recrutement de pays s’est emparée des dirigeants européens qui semblaient ne plus vouloir mette de limites territoriales à la communauté européenne. Nous attendions que le traité conduise à des harmonisations qui auraient pu mettre les six sur la voie d’une Europe-puissance et nous n’avons eu qu’une vaste zone de libre échange ouverte à tous les vents, et en particulier à ceux de la concurrence déloyale des pays à bas coût. Pire, cette zone augmentait rapidement et démesurément, rendant illusoire toute possibilité d’intégration réelle.
Le coup de grâce est venu avec l’euro et l’acharnement qu’ont mis certains dirigeants européens, comme Giscard d’Estaing notamment, à vouloir à tout prix faire rentrer, au mépris de toutes les règles fixées et en « trafiquant » les chiffres, des pays comme la Grèce. Cela correspondait à une autre vision de l’Europe, celle des puissances financières cosmopolites dont le but était de s’appuyer sur cette vaste zone de libre-échange pour l’exporter le plus loin possible, par une sorte de transitivité de zones couvertes par des « Traités de libre-échange » qui auraient fini par recouvrir pratiquement l’ensemble de la planète en ne laissant « hors système » que quelques contrées isolées.
Alors, que vont donc célébrer les invités de la cérémonie d’anniversaire ? Beaucoup plus une commémoration du passé qu’un espoir d’avenir. Prenant conscience de ce qu’on leur avait menti trop longtemps, les peuples européens ont perdu toute confiance dans ce projet. Timide au début des années 80, le mouvement des « eurosceptiques » s’est développé dans le temps. La première véritable lézarde est apparue en 1992, certains pays ne voulant pas de la monnaie unique. La première cassure est survenue en 2005 avec le projet de traité constitutionnel. La crise financière de 2008, prolongée par celle de l’euro en 2012 a mis cette Europe en survie mais le coup fatal est peut-être imminent. Le Brexit est probablement le signe avant-coureur mais les craquements se font entendre également en provenance de l’Italie, de la France et de bien d’autres pays.
Née avant tout d’une volonté américaine, elle ne survivra pas au désintérêt qui lui est porté aujourd’hui par ceux qui l’ont bâti. Les dirigeants européens, n’ayant pas voulu faire une Europe des nations véritablement européenne, l’ont eux-mêmes condamnée.
(*) Milton Friedman, économiste américain, considéré comme le père du « néo-libéralisme »
(**) https://fr.wikipedia.org/wiki/Comit%C3%A9_am%C3%A9ricain_pour_une_Europe_unie
(***) William J. Donovan, ancien directeur de l’OSS, et Allen Dulles, directeur de la CIA entre 1953 et 1961.
Jean Goychman 14/03/2017
c’est sans doute vrai Mais la CEE etait a mon sens un excellent moyen d’entretenir entre les differents Etats Europens un marche cooperatifl oin des fluctuations mondiales ou americaines Giscard d’Estaing a tout casse par orgueil Merci monsieur G. d’ESTAING !!! bonne retraite !!!!!