Jean Goychman – Traité Euro-Atlantique, un marché de dupes…

Engagées depuis 2013, mais prévues depuis 2009, les négociations autour du traité euro-atlantique ont repris cette semaine.
Ce traité prévoit l’instauration d’une zone de « libre échange »(1) entre les membres de l’Union Européenne et les Etats-Unis. Les bases de ce traité sont anciennes. Elles remontent aux années 90 et sont consécutives à la chute du « mur de Berlin » On peut considérer que c’est le point de départ d’un grand projet visant à instituer un commerce mondial sur la base d’un « libre-échange » entre tous les pays.
Comme toujours dans ce genre de projet, il y a l’apparence, mais il y a aussi la réalité.
Commençons par l’apparence. A priori rien à redire. Les bons sentiments sont tous là, bien présentés. Le développement harmonieux, l’ouverture vers les autres, la croissance (ah, cette sacro-sainte croissance…) garantie pour tous, enfin, bref, un monde meilleur fait de liberté, de prospérité et de paix…
La réalité est quelque peu différente. Il nous faut, pour comprendre certaines choses, remonter dans le temps.
Jusqu’en 1823 très exactement, date à laquelle le Président James Monroe a prononcé son discours sur la politique étrangère des Etats-Unis, qui passera à la postérité sous le nom de « Doctrine de Monroe »
Il y est dit que : « les puissances européennes devaient laisser les colonies américaines seules. » Plus explicitement, on retient trois choses :
1) Il ne doit plus avoir de colonies étrangères dans les Amériques (Nord et Sud)
2) Toute intervention européenne sera considérée comme une menace de guerre
3) En contrepartie, les Etats-Unis n’interviendront plus dans les affaires européennes.
Le premier résultat fut l’annexion de la Floride qui était espagnole, suivis par l’Oregon contesté aux Anglais et ensuite le Texas, le Nouveau Mexique, l’Arizona et en fin la Californie. (1948)
Cette doctrine fut à l’origine d’une idéologie appelée « la destinée manifeste » et théorisée en 1845 par le journaliste O’ Sullivan qui écrivait :
« C’est notre destinée manifeste de nous déployer sur le continent confié par la Providence pour le libre développement de notre grandissante multitude »
Ainsi donc, par une sorte de droit divin, les Etats-Unis ont été choisis pour effectuer une mission qui est d’étendre progressivement leur système politique et économique à tout le reste de leur continent dans un premier temps et ensuite au reste du Monde(2).
En 1845, le Président Polk annonce devant le congrès la mise en œuvre généralisée de la Doctrine de Monroe sur tout le continent américain. Cette période autour des années 1840 fut très faste pour l’expansion des Etats-Unis et le peuple Américain se mit à croire à l’évidence de cette « destinée manifeste » et il acquit la certitude qu’il avait effectivement une « mission divine à remplir ».
En 1904, le Président Théodore Roosevelt édicta ce qui prit le nom de « corollaire Roosevelt » par lequel il affirmait que les Etats-Unis avaient le droit, et même le devoir d’intervenir dans leur voisinage s’ils estimaient leurs intérêts menacés. En 1901, un sénateur appelé Platt avait fait voter par le Congrès un amendement de la doctrine de Monroe qui permettait en quelque sorte de l « internationaliser » ce qui permettait de justifier « à postériori » l’intervention militaire américaine en 1898.dans l’ile de Cuba, après le naufrage « organisé » du croiseur américain Maine, en rade de la Havane(3)
Mais revenons maintenant à notre traité TAFTA. Les conventions de libres échanges commerciaux entre Etats sont des choses courantes. Souvent, pour améliorer leurs relations diplomatiques, deux Etats décident de nouer des accords commerciaux aux termes desquels ils vont s’apporter mutuellement une sorte de prime pour marquer cette relation nouvelle.
Le libre-échange constituant essentiellement en une levée des droits de douane, on espère que les pertes fiscales seront compensées par un regain d’activité. Dans ce projet de traité, les choses vont beaucoup plus loin. Il y a bien sûr la base du libre-échange, mais ce n’est pas l’essentiel, comme nous allons le voir.
Les discussions ont donc commencé en1990, et ont abouti à un accord de principe destiné à « promouvoir les principes de l’économie de marché, rejeter le protectionnisme, renforcer et ouvrir davantage à un système de commerce multilatéral »
Cette résolution a été signée par les Etats-Unis et l’Union Européenne. Or, l’Union Européenne n’avait pas (et n’a du reste toujours pas), un statut d’Etat et est encore moins une nation.. Or, les seules entités reconnues sur le plan international sont les nations.
Mais poursuivons. Entre 1995 et 1997, une négociation secrète (bonjour la transparence) menée par les 29 Etats de L’OCDE(4) a débouché sur la signature d’un « accord multilatéral sur l’investissement » Tiens donc, on dépasse nettement les frontières du libre-échange !
D’autant que cet accord contient un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats. Cette clause, une fois révélée, a soulevé l’indignation de certaines opinions publiques qui a contraint ses promoteurs à l’abandonner, ou du moins faire semblant de l’abandonner.
Mises en sommeil apparent, les négociations se sont cependant poursuivies d’une manière souterraine, ce qui est, hélas, devenu la règle européenne lorsqu’on veut « fatiguer le poisson » avant de le sortir de l’eau. Une série de réunions, de fréquence annuelle, se sont donc tenues entre 2005 et 2012 portant chacune sur des points précis, sorte de « pré-requis » indispensables à la poursuite du projet.
Ce n’est que le 23 mai 2013, avec la signature de l’accord sur les « Négociations en vue d’un accord en matière de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les Etats-Unis » suivi le 13 juin de l’accord portant sur un : « Partenariat transatlantique élargi » que ces décisions ont réellement été rendues publiques.
C’est à ce moment que furent publiés les documents d’Edgar Snowden, prouvant sans contestation que tous les négociateurs, ainsi que les responsables politiques européens, avaient fait l’objet d’un espionnage constant de la part des services américains. Partout dans le monde, cela aurait entraîné, fusse au titre de représailles, l’arrêt immédiat de toutes les négociations. Partout, sauf en Europe, où les choses ont continué comme si de rien n’était.
Il y eut bien deux ou trois protestations pour la forme, quelques tirades « matamoresques » bien vite oubliées.
Pourtant, si on analyse d’un peu plus près les sujets de négociations, beaucoup de problèmes, et non des moindres, peuvent légitimement inquiéter les peuples européens. J’en noterai trois qui me semblent très importants :
Le premier concerne l’aspect règlementaire ; chaque Etat définit des critères, appelés « normes » auquel chaque produit doit satisfaire, qu’il soit du domaine industriel, agricole, alimentaire ou de celui des services. Les normes peuvent varier d’un Etat à l’autre en fonction des us et coutumes, des connaissances techniques ou des « moyens de pression » utilisés par des « lobbies » de plus en plus présents ou puissants. Les bons esprits ont dit que « bien entendu, ce seront toujours les normes les plus strictes en matière de préservation de la vie ou de l’environnement » qui s’appliqueront. Permettez-moi d’en douter. Le choix d’une norme plutôt qu’une autre est pratiquement toujours un choix politique. Or, le choix politique se fait toujours sur un rapport de forces.
Le second concerne les « tribunaux arbitraux » qui doivent être mis en place pour étudier et arbitrer les différents qui pourraient naître entre les Etats et les entreprises privées. Ces instances sont certes déjà présentes dans certains accords de libre-échange, afin de renforcer le pouvoir des investisseurs privés face aux Etats, mais leur fonctionnement reste très opaque. Personne ne sait vraiment en fonction de quels critères les arbitrages seront rendus ni même qui financera ces instances.
Le troisième concerne la nature même des négociations qui se font totalement dans l’ombre. On ne connaît même pas le mandat exact donné aux négociateurs. Récemment, une pétition regroupant plus de 1 million de signatures de citoyens de plus de 7 pays européens s’est vu opposer une fin de non-recevoir de la Commission. (5)
Alors, quel est l’objectif réel de ce traité ? Il n’y a guère de doute à avoir. C’est une opération avant tout financière poussé par une oligarchie qui ne supporte plus de limites à son pouvoir.
S’appuyant sur la croyance mystique, mais néanmoins sincère, du peuple américain quant à sa mission divine d’apporter aux autres peuples ce qu’ils ont eux-mêmes réussi à faire, cette oligarchie financière entend bien étendre, par le biais de l’économie, sa domination à l’ensemble de la planète. Ce traité de libre-échange n’est qu’une étape vers cette finalité.
C’est pourquoi il est essentiel que les peuples européens demandent à exercer ce doit inaliénable qui leur est conféré par la Charte des Nations Unies, et qui s’appelle la « Souveraineté ». Ils ne peuvent se voir ainsi dépossédés de celle-ci parce qu’un petit nombre de fonctionnaires internationaux, possédant une immunité à vie, en aurait décidé autrement.
Un peu partout dans l’Union Européenne, se dressent des opposants de plus en plus nombreux.
Le peuple Allemand lui-même devient de plus en plus hostile à la poursuite des négociations et un récent sondage indiquait que seuls 42% y étaient encore favorables.
Ce traité n’est pas un accord simplement commercial comme les autres. Si on prend en exemple le TPP (Trans-Pacific Partnership) signé le 05 octobre 2015, on constate que, bien qu’un certain nombre de pays touché par le fléau du tabagisme aient souhaité exclure l’industrie du tabac du champ des négociations, cette proposition n’a pas été retenue par les négociateurs américains, ce qui en dit long sur la puissance et l’influence des lobbies.
C’est ainsi que la société Philip Morris a porté plainte contre le gouvernement Australien en lui réclamant des dommages et intérêts de plusieurs milliards de dollars pour cause de « campagne anti-tabac »(6)
Empêchons cette duperie tant que nous le pouvons encore, par tous les moyens légaux dont nous pouvons disposer.
(1) Le libre-échange est un système économique qui prône la libre circulation des produits et services au sein d’une même zone géographique. Ennemi des droits de douanes et de tout ce qui fausse la concurrence, il est une conséquence logique du libéralisme économique. Il est également un des points d’ancrage du capitalisme financier
(2) Ceci fait toujours partie du « patrimoine culturel génétique » américain et c’est comme cela qu’ils justifient aujourd’hui un certain nombre d’opérations militaires dans des pays étrangers.
(3) L’épisode du croiseur Maine coula le 15 février 1898 dans la baie de la Havane. On sut plus tard qu’il s’agissait d’un « combat sous fausse bannière » destiné à servir de prétexte contre l’Espagne car les rotatives du magnat de la presse New-Yorkaise William Hearst, annoncèrent l’évènement avant même qu’il se soit produit…
(4)L’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) a succédé à l’OECE ((Organisation Européenne de Coopération Economique) en 1960. Le but de cette dernière était d’assurer la mise en œuvre du plan Marshall. La filiation américaine est clairement établie.
(5) https://mrmondialisation.org/1-million-de-signatures-contre-tafta-a-la-poubelle/
Jean Goychman
Finalement c’est le NOUVEL ORDRE MONDIAL et les américains « nous le mettent profondément » ce qui se dirait dans le langage populaire!.