Le terrorisme verbal pour ne pas aborder le vrai problème de la monnaie.
Durant cette période électorale, pourtant propice au débat d’idées, j’avoue que je me sens un peu frustré. Un sujet d’importance majeure, portant sur le maintien ou non de notre pays dans la zone de la monnaie unique, est carrément escamoté par les tenants de l’euro. A peine la personne débattant commence à expliquer les raisons pour lesquelles, selon elle, un retour à une monnaie nationale pourrait présenter un intérêt pour notre pays que, tel un tir de leurres anti-missiles, la parole lui est immédiatement coupée, au mépris de la simple courtoisie, pour annoncer péremptoirement que notre pays deviendrait un véritable champ de ruines entouré de surcroît d’un triple rang de barbelés infranchissables.
Ce comportement, qui s’apparente au « terrorisme verbal », car il s’agit bien de faire naître la terreur, est quasi généralisé sur les plateaux des différents médias, télévisions ou radios. Alors de deux choses l’une : ou nous sommes des crétins congénitaux inaccessibles à toute forme de raisonnement logique et pour reprendre le mot de Michel Audiard : « cause-pas avec les c.., tu les instruis ! », ou bien ce tir de barrage est destiné à étouffer dans l’œuf toute velléité d’aller voir les choses d’un peu plus près, genre : « circulez, y a rien à voir ! ».
Il arrive quelque fois (mais pas souvent) que l’interlocuteur enfonce le clou en ajoutant, toujours sur le même ton que la dévaluation qui suivrait le « retour au franc » serait vertigineuse et que l’inflation deviendrait rapidement exponentielle, genre Allemagne 1923.
C’est quand même un peu court comme démonstration. Essayons de voir pourquoi :
Tout d’abord, la dévaluation. Pour qu’une monnaie s’apprécie ou se déprécie, encore faut-il que son cours soit « flottant », c’est-à-dire que son cours puisse varier en fonction de l’offre ou de la demande d’éventuels acheteurs. Cela revient à considérer que la monnaie est une marchandise comme les autres, ce qui, vous en conviendrez, n’a rien d’évident. On peut donc plus ou moins réguler le cours d’une monnaie flottante en imprimant de nouveaux billets ou en en retirant de la circulation. C’est le rôle de la banque centrale. Si on imprime en masse, la monnaie devient donc trop abondante (les banquiers parlent de « liquidités ») et ne trouve pas preneurs, donc les cours chutent.
Ensuite, un mot sur l’inflation : L’inflation est le phénomène d’augmentation des prix des denrées et des services. Sous-entendu, notre monnaie nationale va devenir tellement faible que nous ne pourrons plus rien acheter à l’étranger, en raison des prix prohibitifs. Le carburant va tripler et la France va s’apparenter au Bangladesh…
Pour faire court, le prix d’importation d’un produit est rarement son prix de revient. Les marges d’export sont confortables et en fait le prix de vente d’un produit importé dans un pays donné est plus fonction du pouvoir d’achat des habitants de ce pays que du coût de production. Enfin, c’est tout l’intérêt d’une « dévaluation compétitive » que de favoriser la reprise des productions nationales.
Notez bien qu’à aucun moment on envisage qu’une monnaie ne puisse être autrement que « flottante » et donc sa valeur ne peut s’exprimer que par rapport à celle d’une autre monnaie.
Cette monnaie-papier ne peut également être autre chose qu’une monnaie-dette puisque sa création correspond à la vente d’une dette. Lorsque la BCE imprime des billets, ces billets vont bien quelque part. D’après ses statuts, la BCE ne peut prêter qu’aux banques, qui donc lui vendent des dettes ; Je sais, c’est un peu compliqué. Une dette correspond en fait à une somme d’argent que quelqu’un doit à quelqu’un d’autre. Si la BCE me donne de l’argent sans contrepartie, je lui dois cet argent. Je lui ai donc « vendu de la dette » et les billets qu’elle m’a donné en échange sont de « l’argent-dette » Cette dette produit donc un intérêt, dont le taux est fixé par la BCE et que je dois lui payer. Vous allez me dire : quel l’intérêt pour un banquier de s’endetter auprès de la BCE ?
S’il ne reprête pas à son tour cet argent, aucun. Par contre, s’il trouve un emprunteur qui a besoin de cet argent, prenons au hasard un Etat dont les fins de mois sont difficiles, notre banquier va lui prêter cet argent, à un taux d’intérêt qu’il fixera lui-même. La différence entre ce taux et celui pratiqué par la BCE ira donc dans la poche du banquier. Un petit détail dont on ne parle (presque) jamais : lorsque la dette de la banque arrivera à « maturation » (comme un fruit mûr) joli terme pour dire que l’emprunteur, l’Etat dans notre cas, va la rembourser. L’argent de ce remboursement sera redirigé par la banque vers la BCE qui le…détruira, afin de ne pas augmenter la quantité d’argent en circulation. Dans tout ce circuit, seuls comptent les intérêts prélevés. Remarquons que la plupart des Etats-emprunteurs n’ont d’autre solution que d’emprunter pour rembourser cette dette. Quelques autres, particulièrement fauchés, doivent également emprunter pour payer les intérêts. C’est, hélas, notre cas.
Mais il existe également un second type de monnaie, dont le cours est fixé par l’Etat qui l’imprime. Cette valeur de monnaie représente un poids donné d’un ou plusieurs métaux donnés. Dans le temps, l’argent était le métal de valeur des petites pièces de monnaie (pièces blanches) et l’or était utilisé pour les pièces de plus de valeur (pièces jaunes).
Avec une monnaie métal, il n’y a guère de spéculation possible, le prix de l’or étant le même partout. Depuis des temps immémoriaux, toutes les monnaies ont fonctionné de cette façon, avec quelques variantes sur la nature du « métal ».
Il n’y a que depuis un peu plus de 200 ans et très progressivement, que la monnaie-dette a fait son apparition. Dans notre pays, l’étalon-or n’a été abandonné qu’en 1930 mais le général de Gaulle avait clairement manifesté son intention de le rétablir dès 1965. Certes, ce système monétaire est exigeant dans la mesure ou la convertibilité de la monnaie d’un pays en or impose de détenir un stock d’or au moins égal à la quantité de monnaie émise, mais il est très bénéfique d’un double point de vue :
Premièrement, comme déjà écrit, il empêche toute spéculation du cours de la monnaie, dés l’instant ou le cours de l’or est établi sans « tripatouillage ». Toutes les monnaies qui s’expriment avec une contre-valeur en or sont naturellement convertibles dans ce métal.
Deuxièmement, le pays qui utilise ce genre de monnaie en fixe le cours en fonction du poids d’or de son unité monétaire. Certes, le pouvoir d’achat lié à cette monnaie va fluctuer en fonction du cours de l’or, mais dans des limites étroites, qui correspondent aux différences entre offre et demande d’or. Et surtout, il permet de se passer des intermédiaires rémunérés que sont les banques privées.
Bien évidemment, les Etats doivent appliquer la même rigueur budgétaire. Un budget déficitaire impliquera une augmentation de la dette publique, donc des intérêts versés dans le cas d’une monnaie dette. Avec une monnaie-métal, il faudra faire de la création monétaire, avec un risque dévaluation si les réserves d’or ne sont pas suffisantes, mais cela ne générera pas d’intérêts supplémentaires. Dans ce cas, c’est la « génération dispendieuse » qui verra son pouvoir d’achat diminuer, mais les enfants et petits-enfants n’auront plus à assurer la charge de la dette.
En 1944, lors des discussions dites de « Bretton Woods » qui allaient consacrer le dollar américain comme monnaie de réserve internationale, l’argument de ses promoteurs était la convertibilité-or du dollar. L’économiste anglais J M Keynes avait proposé, quant à lui, de créer une monnaie spécifique dont aucun pays n’aurait le contrôle et serait indexée sur l’or et qu’il avait proposé d’appeler le « Bankor ». Cette proposition revient fréquemment sur les devants de l’actualité et commence à intéresser un nombre grandissant de gens rendus inquiets par les excès non maitrisés du système bancaire international.
On voit alors la mise en évidence de caractéristiques fondamentalement différentes entre ces deux types de monnaies. C’est là où se situe le véritable débat. Voulons-nous continuer à payer d’une manière perpétuelle les intérêts d’une dette publique qui ne peut qu’augmenter en raison de la création monétaire qu’elle implique ou préférons-nous opter pour la solution de la monnaie-métal, qui garantit une beaucoup plus grande stabilité de son cours ?
Cette question mérite de nous être posée, et il faudra y répondre autrement que par un large revers de la main destiné à balayer d’un coup toutes les objections. Chaque type de monnaie possède ses avantages et ses inconvénients et il parait naturel de s’en remettre « au peuple souverain » pour qu’il détermine, par voie de référendum quelle est sa préférence.
Jean Goychman