Jean Goychman : « Au-delà de l’apparence, la réalité de la loi Macron »

Je croyais, jusqu’à présent, qu’il existait une sorte de limite à toute chose. Je croyais aussi que notre forme de pensée était rationnelle et qu’elle s’appuyait sur des faits observés, et que les décisions prises ou à prendre allaient tenir compte de ces réalités. J’étais naïf et je n’avais rien compris. La valeur des mots et des idées qu’ils servent à exprimer n’a aucune importance.
Je pensais qu’une annonce faite ou une décision prise par un dirigeant politique résultait de l’analyse d’une situation donnée dans son contexte et que les actions à mettre en œuvre traduisaient la volonté de résoudre les problèmes posés. Et bien, tel n’est plus le cas.
Je vais prendre un exemple assez significatif de cette conception nouvelle :
L’actualité politico économique est presqu’entiérement consacrée à un projet de texte de loi qui va venir devant le parlement à la fin janvier de l’année prochaine et que les médias ont baptisé « loi Macron » du nom du ministre actuel de l’Economie. Ce projet semble, au départ, inspiré par de louables intentions. Il s’agit de développer « la croissance et l’activité » Voilà certainement, « une idée qu’elle est bonne » bien qu’il semble que les craintes de notre peuple soient plutôt liées à l’emploi et la paye… Enfin, poursuivons.
La croissance, c’est peut-être la même chose que l’emploi, en dialecte ENA, et l’activité est peut-être la traduction de la fin de mois, qui sait ?
Voyons un peu le pourquoi du comment des choses. D’ailleurs, on nous l’explique :
« C’est une loi qui vise à agir sur tous les leviers pour favoriser la relance de la croissance, de l’investissement et de l’emploi.»
Ah bon, il y a aussi l’investissement qui s’est invité à la petite fête. On nous dit que c’est une loi qui va « nous libérer » car nous vivons dans un pays occupé, victimes des pesanteurs, des corporatismes, des professions réglementées. Je ne savais pas qu’il existait dans notre pays des métiers « non réglementés » et, à vrai dire, j’avais plutôt un sentiment contraire…
Mais revenons sur la notice explicative : on nous dit qu’il faut investir, parce que c’est nécessaire, mais on ne nous dit pas comment. Ca doit sûrement être indiqué à la fin…
Ensuite, on nous annonce que c’est une loi conçue pour « créer et développer de l’activité »
Compte tenu du titre, ce serait bien étonnant qu’elle fasse le contraire. Et on apprend que pour arriver à ce but louable, cette loi « n’enlèvera rien à personne ». Je dois dire que j’ai un peu de mal à suivre. On nous cite pêle-mêle les notaires et autres professions du droit, les petits commerçants et les liaisons par autocar. Où est la racine commune ?
Puis on nous dit que la transparence est nécessaire, notamment pour les professions réglementées et les tarifs autoroutiers. Qu’est-ce que c’est que ces inventaires à la Prévert ? Comment un gouvernement peut-il nous dire cela alors qu’il a déjà tous les moyens pour agir s’il juge que les frais de notaire ou d’avocats manquent de transparence ? Ceux à qui j’ai eu à faire m’ont toujours annoncé la couleur au centime près et, en général même, j’ai reçu au bout de quelques mois un chèque de « trop perçu »
Pour les avocats, je pense qu’une des premières questions qui leur est posée est « combien ? »
comme à tous les autres prestataires de services
Pour les autoroutes, le choix est simple : on les prend ou on les prend pas. On ne va pas discuter le prix à la borne du péage. En plus, si le gouvernement veut les renationaliser au titre du développement économique, qu’il le fasse…
Enfin, bref, vous avez compris, on nous parle des nombreux bienfaits que cette loi va nous apporter (c’est vrai que c’est bientôt Noël… ) Concrètement, ça nous donne quoi ?
Les professions du droit passent en premier à la moulinette. On va réduire les émoluments des notaires, qui ont trop augmenté du fait qu’ils sont liés en pourcentage fixe à la valeur du bien vendu et que l’immobilier à beaucoup augmenté ces dernières années. Au passage, on en profite pour mettre « un petit coup de rabot » aux autres, huissiers, commissaires-priseurs, avocats et administrateurs judiciaires, histoire de pas faire de jaloux…
Le procédé est pervers et rappelle un peu celui des jeux du cirque. Comme nos dirigeants ne peuvent pas nous sortir de la mouise dans laquelle nous sommes, on donne en pâture ceux qui, dans l’inconscient collectif, représentent « les richous » et on les envoie dans « la fosse aux lions » histoire de leur faire payer la misère des autres. Ensuite, on leur donne le « coup de grâce » en faisant sauter le « numerus clausus » qui donnait leur valeur patrimoniale aux études notariales.
Ensuite, on apprend que les avocats pourront intervenir sur l’ensemble des juridictions du ressort de leur cour d’appel alors qu’aujourd’hui ils ne peuvent plaider que devant un seul tribunal auprès duquel ils sont inscrits. Dans ce cas, on ne retire pas de privilège mais, au contraire, on l’étend…Il parait que ça va faire baisser les tarifs !
Toujours pour les avocats, on va créer un nouveau statut : celui des avocats d’entreprise. En clair, on va fabriquer des « sous avocats » qui seront salariés par une entreprise et n’auront plus le droit de plaider pour quelqu’un d’autre…
Le chapitre suivant (le plus important à mon avis) traite de la participation au capital. Comme c’est souvent le cas, l’objectif réel d’un texte de loi est dissimulé sous un fatras de considérations et de propositions dont il est parfois difficile à extraire. Là, on rentre dans le dur. Il s’agit d’ouvrir (sous une apparence « européenne » qui présente bien) toutes ces activités juridiques à des sociétés financières multi nationales. Bien évidemment, le papier d’emballage est trompeur et cela nous est présenté sous un éclairage très « national » :
« Grâce aux nouveaux moyens financiers et juridiques, les professionnels du droit français pourront disposer des ressources nécessaires pour se développer en Europe avec leurs homologues. Les structures à fondation nationale pourront alors concurrencer les actuels groupes européens par une croissance externe et augmenter ainsi leur volume d’activité* »
Il suffit d’intervertir ce qui relève de la France et de l’Europe, et tout devient clair. Il s’agit d’autoriser les groupes européens à acheter et prendre le contrôle de ces entreprises françaises, car vous remarquerez qu’il n’y a pas de limite à la participation en capital…
Le reste du projet de texte est consacré à un mélange disparate à base de transport en autocar, de réforme des modalités d’obtention du permis de conduire et du travail le dimanche. Le sentiment qui se dégage de tout ce bric à brac est analogue à ce qu’on peut ressentir lors de certaines ventes aux enchères lorsque le Commissaire Priseur procède à la mise aux enchères de lots, constitués d’articles dont certains seraient invendables séparément, mais que l’acheteur à obligation de prendre s’il veut acquérir ceux qui l’intéressent.
Ainsi, pour atteindre un objectif purement « Bruxellois », on nous balade (en autocar et le dimanche) en réglant au passage un vieux compte avec les professions réglementées qui, il est vrai, n’ont jamais constituées de réservoirs électoraux pour l’actuel pouvoir. Je n’ai pas souvenance qu’un tel cynisme dans la rédaction du texte d’un projet de loi ait déjà été atteint. Je ne connais pas les effets réels que ce texte aura, s’il est adopté par le Parlement, sur l’économie de notre pays, mais il paraît peu probable qu’il apporte une amélioration sensible, sinon sur des détails. Cependant, je suis sûr d’une chose, c’est qu’il ne rapprochera pas nos concitoyens de la technocratie soit disant européenne qui est en train de confisquer notre démocratie.
* Page 16 du projet de loi
Jean Goychman