Jean Goychman – Elle a beau jeu, la solidarité européenne
Après s’être essuyé les pieds sur le peuple Grec, les dirigeants européens sont maintenant débordants de solidarité envers la Grèce. C’est à celui qui en fera le plus. La Grèce ne doit pas quitter l’euro, la Grèce à toute sa place en Europe et autres variantes destinées à montrer à l’opinion publique européenne la sollicitude et la prévenance qui vont prévaloir dans les réunions avec les dirigeants grecs.
Tout ceci n’est qu’un gros mensonge. Tous ces gens se fichent éperdument du futur de la Grèce. Seulement voilà ; Tsipras et son ami Varoufakis ont manœuvré comme des chefs.
Leur comportement, source d’interrogations pour de nombreux chroniqueurs, s’apparente à un sans-faute. Ils ont réussi à enfermer les dirigeants européens dans un piège diabolique. Yanis Varoufakis n’est pas n’importe qui. C’est un mathématicien au départ, devenu économiste. Sa spécialité : la théorie des jeux. Voilà qui en fait un redoutable adversaire. Il a parfaitement analysé le système financier mondial, et notamment les causes du crash mondial de 2008. Son livre « le Minotaure planétaire » est probablement un des plus clairs pour comprendre comment les mécanismes financiers censés protéger le système de toute divergence ont été contournés par les grandes banques « systémiques » pour qu’elles puissent s’enrichir sans limite, avec le résultat que nous connaissons.
Or, Yanis Varoufakis sait que l’arme absolue des banques centrales utilisée, à l’insu des citoyens pour transférer les dettes des banques commerciales vers les contribuables est un « fusil à un coup » Cela a fonctionné en 2008, mais ne marcherait plus aujourd’hui, compte-tenu de l’énormité des sommes en jeu. On parle de plusieurs fois le PIB mondial qui serait enfoui dans les « dark pools ». Ce système financier est donc devenu très instable, et comme tout système instable, il menace de diverger à tout instant, même sur une sollicitation qui aurait été négligeable il y a une trentaine d’années, avant le « lundi noir » d’octobre 1987.
Pour donner une image un peu plus « parlante » les dirigeants financiers du monde conduisent un camion chargé de nitroglycérine sur une route en « tôle ondulée »
Le plan d’ « assouplissement quantitatif » de la BCE, justifié par Mario Draghi pour faire un peu d’inflation, était surtout destiné à améliorer les bilans des banques commerciales européennes pour leur permettre de résister un peu mieux à la tempête qui menace le monde financier. Il existe donc une véritable peur de voir arriver la réplique de 2008, et cette peur peut avoir des effets paralysants. C’est ce qu’ont voulu exploiter, non sans une certaine finesse d’analyse, les négociateurs grecs, à la tête desquels se trouvait naturellement Yanis Varoufakis.
Souvenons-nous que, dès le départ des négociations, au mois de février, une des premières demandes grecque a été de lier une restructuration de la dette aux mesures qui pourraient être prises en contrepartie. Or, en raison de la situation, toucher à la dette grecque était hors de question, d’autant plus qu’accepter une restructuration de la dette grecque pouvait faire naître certaines envies collatérales. Les négociations se sont donc focalisées sur les mesures que devaient prendre le gouvernement grec, et c’est probablement ce qu’avait prévu ce dernier.
Or, Tsipras avait pris soin de faire campagne sur la fin de l’austérité imposée au peuple grec.
Il a tranquillement laissé monter la pression, et lorsqu’il a jugé les conditions favorables, il a abattu sa carte du référendum. Consternation, comme prévu, chez les européens et réactions de colère voyants qu’ils avaient été « trahis » (pour reprendre le mot de Juncker) ont démultiplié le résultat du référendum, le transformant en quasi plébiscite du gouvernement Tsipras. Bien entendu, pour couper l’herbe sous le pied à la propagande européenne, celui-ci a immédiatement dit qu’il voulait que la Grèce reste dans l’Europe, et que seul le « non » pouvait traduire cette volonté. Je ne suis pas du tout persuadé que ce soit le véritable désir de Tsipras et Varoufakis, mais la réussite de leur plan passait par là.
Côté européen, il me parait évident que leur vœu le plus cher serait de virer la Grèce avec perte et fracas, mais l’instabilité de la finance mondiale doit les tempérer quelque peu.
De son côté, la Grèce n’a pas grand-chose à perdre, compte-tenu de son état actuel. Il est donc logique qu’elle pousse son avantage le plus loin possible. Alors, dans tout ça, la solidarité est le paravent idéal pour s’adresser aux « bien-pensants » sans avoir besoin d’expliquer tout ce qui a été délibérément caché aux bons peuples de l’Europe.
Seulement voilà, il y en peut-être quelques-uns qui restent insensibles à une certaine forme d’humour. Expliquer aux portugais, aux espagnols, aux slovènes que la solidarité est sélective et ne peut s’exercer que pour la Grèce va pas être de la tarte, d’autant plus que si un seul des parlements de ces pays applique son droit de véto, la messe sera dite et la Grèce fera un grand pas vers la sortie.
Jean Goychman