Jean Goychman – Grèce : l’heure de vérité
De Gaulle disait : « Il n’y a pas de politique qui vaille si elle ne tient pas compte des réalités »
Après plus de deux semaines durant lesquelles l’espoir et l’abattement ont alterné dans l’esprit du peuple Grec, rien ne semble s’être passé comme prévu. Le défaut de la Grèce n’a pas été prononcé, malgré l’absence de paiement du FMI le 30 juin. Le peuple grec n’a pas répondu au référendum du 5 juillet comme lui demandaient les instances européennes. Le 8 juillet, le 1er ministre grec faisait adopter par le parlement un programme de propositions sensiblement identiques à celles que lui demandaient ses « créanciers » avant le référendum et on pensait que la boucle était bouclée, que l’accord était acquis.
Que nenni ! Fatale erreur, comme disent les informaticiens, le samedi soir 11 juillet, on apprenait que rien n’allait plus, que « l’Eurogroupe » s’était scindé en deux parties, l’une voulant à tout prix le maintien de la Grèce dans l’euro et l’autre désirait avec la même énergie sa sortie de ladite zone. Dans mon dernier article 1 j’avais écrit que je pensais que c’était Yanis Varoufakis qui menait la négociation côté grec. Sa démission au lendemain du référendum, pourtant gagné avec brio ne laissait guère présager une telle décision. Elle pouvait trouver sa justification dans l’annonce de la « reddition » d’Alexis Tsipras, mais cela impliquait que Varoufakis ait su ou deviné ce qui allait suivre. C’est un esprit très cartésien qui possède un sens des réalités.
Le 10 juillet, il annonçait2 que Wolfgang Schauble, ministre des finances allemand, souhaitait une sortie de la Grèce hors de la zone euro. Et il ajoutait que cette sortie était destinée à faire comprendre à la France qu’elle suivrait le même chemin si elle continuait à retarder la mise en place des mesures qu’elle s’était pourtant engagée à prendre.
Or, il se trouve que ce propos s’est trouvé confirmé lors de la réunion des ministres qui s’est tenu quelques heures plus tard. Or, si Varoufakis a fait cette déclaration samedi matin, c’est qu’il avait l’intention de la faire depuis un certain temps et que, compte-tenu de sa proximité avec Tsipras, il avait certainement abordé ce sujet avec lui. Il se pourrait donc que l’action de Tsipras, interprétée comme une capitulation en rase-campagne, ait été en réalité un contre-feu destiné à ennuyer Schauble en le privant d’arguments.
Au bout de neuf heures d’échanges quelquefois tendus, la réunion a pris fin sans qu’un accord, pourtant réputé comme acquis, soit trouvé. Et peu importent les arguments avancés pour justifier cet échec, car c’est incontestablement un échec, le fond de l’affaire n’a même pas été évoqué. Cela semble bien confirmer que le sort de la Grèce n’émeut pas beaucoup les participants, ou bien qu’il est déjà scellé. La réalité, c’est que rien ni personne n’est capable de garantir que la Grèce, dans la situation où elle se trouve aujourd’hui, est encore capable de s’en sortir sous la double contrainte d’un euro beaucoup trop fort pour elle et d’une dette astronomique qu’elle est incapable de rembourser.
La route des marchés financiers lui étant coupée et l’aide des pays européens plus qu’incertaine, que peut-elle faire ?
Le problème se complique encore si on prend en compte sa situation géographique. Située à la limite sud-est de l’Europe, la position de la Grèce est stratégique, notamment pour l’OTAN qui possède plusieurs bases dont une, très importante, en Crête. Or, d’après les traités en vigueur, la Grèce ne peut quitter la zone euro que si elle quitte l’Union Européenne. Redevenue « électron libre » elle peut conclure une sorte d’ « alliance de revers » avec la Russie. On comprend le regard courroucé des Américains sur cette affaire.
On comprend aussi que nous, peuples européens créanciers de la Grèce, n’ayons pas du tout envie de financer à fonds perdus ce pays auquel nous portons, certes, une grande sympathie, mais que nous n’avons plus les moyens d’entretenir.
Car nous sommes dans une situation qui n’est guère éloignée de celle de la Grèce. Rapportée au nombre d’habitants, la dette française vaut la dette grecque (de l’ordre de 30 000 €/tête) et nous devons également emprunter pour payer les intérêts de notre propre dette. Nous avons franchi ce que les financiers appellent le « moment de Ponzi3 » ce qui revient à dire que si, pour une raison ou une autre, les taux d’intérêts venaient à augmenter, nous ne serions pas loin du défaut. Par ailleurs, le fait de ne pas pouvoir, tout comme la Grèce, dévaluer notre monnaie nous prive d’un moyen d’action incomparable en efficacité qui est la dévaluation compétitive. Il nous faut donc réduire nos dépenses publiques et nos salaires pour payer les intérêts de la dette en restant compétitifs.
On voit donc que ce qui est appelé avec un certain détachement « le petit problème grec » cache une réalité d’une toute autre dimension. Il est cependant à craindre que nombre de dirigeants européens, soucieux de s’assurer une situation encore confortable ou ne voulant pas endosser la responsabilité d’un échec, préfèrent ne pas voir la réalité de l’état de la zone euro et détournent ostensiblement le regard en affichant l’optimisme de circonstance qui exonère de toute prise de décision qui rendrait leur position délicate vis-à-vis de leur opinion publique.
1 https://archives.gilbertcollard.fr/blog-2/jean-goychman-elle-a-beau-jeu-la-solidarite-europeenne/
2 http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/jul/10/germany-greek-pain-debt-relief-grexit
3 Charles Ponzi (1882 – 1949) est considéré comme l’inventeur du système qui consiste à garantir un intérêt important sur les sommes versées par les premiers participants en payant cet intérêt avec l’argent des nouveaux arrivants. Ponzi est ainsi devenu millionnaire en moins de 6 mois. Le système perdure tant qu’il est alimenté. Lorsque cela cesse, ce sont les derniers entrés qui se trouvent ruinés.
Jean Goychman