PISSE CRIME
Une photographie du Christ en croix, d’un mètre80, surexposée dans une ambiance rouge et or, sang et urine, œuvre de l’artiste Andres Serrano, fervent fouineur des sécrétions humaines, a provoqué la colère de certains catholiques. La photographie a été vandalisée! L’évêque d’Avignon, ville aux papes perdus, traite le cliché «d’ordure». Le ministre de la culture, avec son courage hésitant quand il ne s’agit pas de congédier le directeur du théâtre de l’Odéon, à lubrifier de sa voix qui n’en finit plus d’étirer la gomina verbale sur les mots luisants, selon les paramètres invariables de la langue de bois, cette analyse molle: «c’est une atteinte à la liberté de création», «l’œuvre pouvait choquer». Comme cela, tout le monde est content!
Que dire devant cette croix irradiée d’urine solaire et de sang? Ma première réaction, à chaud, a été, je le confesse, c’est le mot, d’être choqué. J’ai ressenti, sans réfléchir, comme une agression contre le signe de ma foi, une de plus, me suis-je dit… énervé! J’ai superposé, au-dessus de l’œuvre pisseuse, les images du film sur les moines de thibérines, et j’ai pensé à ces religieux qui allaient mourir décapités dans le sang et l’urine des morts, avec dans les yeux, la croix de leur Christ. J’ai pensé à ces chrétiens d’Orient, assassinés dans leur église, au pied de cette Croix ensanglantée. J’ai pensé à tous les croyants dont le regard intérieur s’élève en regardant cette élévation, et j’ai été furieux qu’un artiste souille l’image du Sauveur, le premier ami des pauvres en tout genre. Je n’avais même pas vu la photo! Désolé de devoir à la vérité de le dire, mais cette photo est belle, lumineuse dans l’ordure, flottant entre le matériel et l’immatériel. En revanche, la légende, Piss Christ, qui pianote sur pisse et paix, est du plus mauvais effet vermouth, et semble bien faire le trottoir à la recherche du scandale.
La liberté de création, n’en déplaise à toutounette de la culture, ne doit pas permettre la création de toutes les merdes qui encombrent les musées et bouffent les subventions. Cette photo, c’est de la pisse, mais ce n’est pas de la merde! De ce point de vue-là, l’opinion de Wendy Becket, critique d’art et carmélite est très intéressante; elle dit, «cette photo met en évidence ce que par nos péchés nous faisons au Christ.» Cette analyse est d’autant plus pertinente qu’elle rejoint l’aveu tardif, mais significatif de l’artiste, qui se déclare «être un artiste chrétien». Alors? Que faire, que dire? S’agenouiller en prière pour chasser Satan, s’accrocher au chapelet comme à la cordée pour gravir le calvaire photographique, anathématiser l’urinomane, le noyer dans sa piscine mentale de pisse détruire son œuvre? Non, pas çà, pitié, pas ça!La grande grandeur du Christ, c’est son humanité. Fidèle à nos guenilles physiques, il a voulu les porter jusqu’au linceul, jusqu’au bout, comme nous, dans l’urine, la sueur, le sang, et même dans le désespoir,«Père, pourquoi m’as-tu abandonné?» Cette photo, peut-être, malgré elle, dit quelque chose du mystère de la Croix. Pourquoi, alors, cette colère? Elle s’explique par la sociologie ambiante. On interdit ici, une crèche, là une photo du pape dans un cimetière, à tel point qu’en ce pays de culture chrétienne, le chrétien déclaré à la douane laïque, à l’air d’un con ringard, coiffé d’un préservatif. À la longue, les sensibilités s’exaspèrent, et, à force de subir des affronts, il se sent discriminé. L’artiste aurait-il osé plonger dans l’urine et le sang Mahomet ou les rouleaux de la Thora, c’est ce que se demandent beaucoup de chrétiens. Ce qui signifie, jusqu’à quand devra-t’on subir ce que l’on n’inflige pas aux autres religions? Puisqu’on est dans la matière, les chrétiens en ont peut-être, un peu plein le cul, d’être pris pour des cons!