Jean Goychman – Les vieux péchés ont de longues ombres…
Participant à l’émission « des paroles et des actes » sur France 2 le 02 octobre, Alain Juppé a éprouvé un moment de gêne sensible après la diffusion d’un reportage tourné en 1990. A l’époque, il était secrétaire général du « Rassemblement pour la République ».
Rappelons brièvement le contexte :
Battu pour la seconde fois à l’élection présidentielle de 1988 dont François Mitterrand est sorti victorieux, Jacques Chirac, bien que toujours Président, avait de fait laissé le RPR aux mains d’Alain Juppé qui en assumait seul la direction. Certaines critiques plus ou moins voilées commençaient à poindre concernant le positionnement du mouvement qui s’ancrait, par la force des choses, dans une opposition pour laquelle il n’était pas fait. Plus habitué depuis 1976 à exercer une forme de pouvoir plutôt que de le subir, le RPR avait du mal à prendre en compte l’opinion de ses militants, faute d’une architecture interne non appropriée.
Par ailleurs, l’analyse des résultats de l’élection présidentielle a montré qu’au premier tour JM Le Pen, candidat du Front National a obtenu plus de 14% des suffrages qui ne se sont pas ou peu reportés sur le candidat RPR au second tour. La recherche de cet « électorat perdu » et en même temps la prise compte de l’opinion d’un nombre important de militants a incité les dirigeants du mouvement à orienter le discours dans un sens susceptible de ramener certaines voies « égarées » et surtout de conserver une partie du « cheptel » qui commençait à lorgner vers le FN.
Ce reportage montrait la prise de parole de Valery Giscard d’Estaing disant : « Nous n’acceptons ni la xénophobie, ni la francophobie ; La France n’est pas un pays d’immigration et devra se doter des moyens de gérer un quota zéro d’immigration. »
La voix « off » disant ensuite que cette proposition avait reçu l’aval de tous les représentants du RPR et de l’UDF réunis en congrès à Villepinte.
Il était même question, dans le texte de la motion proposée sur ce sujet de :
La fermeture des frontières
La suspension de l’immigration
Réserver certaines prestations sociales aux nationaux
Constater l’incompatibilité entre l’Islam et nos lois.
Cela tranche nettement avec les propos entendus ces derniers jours sur la position des certains membres du parti Les Républicains, et notamment Alain Juppé qui voit dans l’immigration la «source d’une diversité qui enrichit notre patrimoine»
Naturellement le présentateur a relevé la différence de position entre celle du RPR de 1990 dont Alain Juppé était président et celle d’Alain Juppé aujourd’hui. Il lui demande assez perfidement si lui, Alain Juppé « avait changé d’avis » ou si c’était « le pays qui avait changé. »
Réponse embarrassée d’Alain Juppé, qui, en vieux briscard de la joute verbale, entrevoit une porte de sortie propre « à noyer le poisson » et essaye de l’ouvrir :
« Heu…l’immigration économique a été interdite en France, par Giscard en 1970 ; là, effectivement, on est plus tard, en 1990. »
Mais le présentateur ne le lâche et il s’en suit l’échange :
David Pujadas : « C’est radical, c’est les positions du Front National aujourd’hui »
Alain Juppé ; « Oui, mais je ne partage pas cela. Rétrospectivement, je pense que c’était une erreur »
David Pujadas : « A l’époque, vous étiez d’accord ? »
Alain Juppé : « Sans doute, mais à l’époque, j’étais membre du RPR »
David Pujadas : « Bien… »
Alain Juppé qui, visiblement veut clore lui-même l’échange, s’adresse alors directement à David Pujadas par cette dernière phrase qui, de toute évidence, lui coûte, mais il veut rester « fair-play » : « Bravo, vous avez marqué un point… super ! »
Les enseignements à tirer de cette courte séquence sont nombreux.
Tout d’abord, Alain Juppé n’était pas simple membre du RPR. Il était le secrétaire général, et à ce titre, il aurait pu modifier les termes de la motion. Ensuite, ce qui le gêne, c’est que cela corresponde aux propositions actuelles du Front National. C’est une attitude dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est « opportuniste » Or, à l’époque, le FN tenait déjà un langage similaire et il ne pouvait pas l’ignorer. On en conclut donc que tout ceci n’est qu’une posture et qu’il devait être très malheureux au sein de son parti. Pourquoi est-il resté ?
Il faut également se souvenir que, moins d’un an plus tard, les 19 juin 1991, Jacques Chirac a fait une déclaration à Orléans, plus connue sous le nom de « discours du bruit et de l’odeur » dont voici la transcription : (1)
« Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d’or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur eh bien le travailleur français sur le palier devient fou »
Vous remarquerez qu’il nomme Alain Juppé, avec lequel il se promenait. Cela n’a rien d’étonnant car à l’époque il était député du 18ème arrondissement, où se situe le quartier de la Goutte d’Or
Si vraiment il est sincère aujourd’hui, il avait toutes les raisons de démissionner. Or, il ne l’a pas fait. Il était donc en accord avec ces propos, et il ne peut pas s’abriter derrière un évasif « sans doute » qui laisserait supposer que c’est la discipline de parti qui lui a imposé son attitude.
Comme disait François Mitterrand « les vieux péchés ont de longues ombres… »
(1) https://www.youtube.com/watch?v=e4pun9Cdp6Q
Jean Goychman