Jean Goychman – Monsieur Macron, candidat apolitique

En décembre 2015, j’écrivais sur ce même blog un article intitulé : « Le président du MEDEF » ne fait pas de politique*. Ce titre m’avait été lui-même inspiré par Raymond Barre, premier ministre à la fin des années 70, lorsqu’il avait déclaré devant un parterre de journalistes : « Je ne fais pas de politique ! », ce qui, à l’époque, m’avait littéralement fait hurler de rire. Entré au cabinet de Jean Marcel Jeanneney en 1959, il ne sortira pourtant de l’arène qu’en 2002, mettant ainsi fin à une carrière qui le mena de la Commission Européenne à l’Assemblée Nationale, en passant par le poste de premier ministre, candidat à l’élection présidentielle de 1988 et député-maire de Lyon…et tout ceci sans faire de politique !
En écoutant depuis plusieurs semaines les discours d’Emmanuel Macron, je me suis dit : « Tiens, encore un qui ne fait pas de politique ! » Il se présente comme étant « ni de droite, ni de gauche » confirmant ainsi son appartenance à la lignée des « centristes » dont Barre se réclamait des décennies avant lui. Enfant né dans une banlieue parisienne fortement marquée à gauche, je me souviens que les commerçants de mon quartier employaient souvent, en période électorale, la phrase : « Vous savez, nous, on est commerçants, donc on ne fait pas de politique » ce qui, en traduction instantanée, signifiait « On ne mélange pas l’idéologie avec le tiroir-caisse » Cela pouvait se concevoir pour eux, mais pour des candidats à une élection présidentielle ?
Coluche également, disait ne pas faire de politique. Mais lui, au moins, il nous faisait rire et il proposait une ligne d’action dont bien des gens se sont réclamés, même longtemps après sa disparition. Pour Macron, c’est quelque peu différent. Côté rigolade, j’ai comme un doute. Pourtant, le personnage n’est ni antipathique, ni austère. Il est, comment dirais-je, impalpable.
Très difficile de savoir ce qu’il pense vraiment. Avant d’analyser son discours, jouons un peu au jeu du portrait. Emmanuel Macron est né en 1977. Il est « khâgneux** » à Henri IV, passe un doctorat de philo à Nanterre et sort de Sciences-po en 2001, puis rentre à l’ENA en 2002. Inspecteur des finances en 2004. Il participe à des « groupes d’étude » de 2004 à 2008 et se met en disponibilité de la fonction publique pour rentrer à la banque Rothschild, poussé, dira-t-il, par l’élection de Sarkozy en 2007. Il y restera jusqu’en 2012 après avoir été nommé associé puis gérant en 2012. Il arrive à l’Elysée en mai 2012 avec François Hollande.
Sur le plan politique, il est chevènementiste en 2002 et adhère au PS de 2006 à 2009. Il y rencontre Hollande mais n’arrive pas à obtenir une investiture PS pour les législatives de 2007.
Il réside alors au Touquet, et, bien que soutenu par les commerçants locaux, refuse d’adhérer à l’UMP, renonçant ainsi à se présenter aux municipales de 2008. En 2010, il refuse le poste de directeur adjoint du cabinet de François Fillon, premier ministre. En 2011, il soutient François Hollande avant même que n’éclate l’affaire du Sofitel, alors que Strauss Kahn est largement en tête dans les sondages pour la primaire. Il est nommé en mai 2012 secrétaire général adjoint de l’Elysée. Connu pour être un des artisans du CICE* ainsi que du « Pacte de responsabilité et de solidarité » il apparaît alors « plus libéral que socialiste »
En juin 2014, il quitte l’Elysée afin, aux dires de Jean Pierre Jouyet, de « mener des projets personnels sur l’enseignement et la recherche » Nommé ministre de l’économie en août 2014, il quittera à la fois ce poste et la fonction publique en 2016.
Voici donc, en quelques lignes, la carrière ce cet apolitique candidat à l’élection présidentielle. Beaucoup de gens s’étonnent de son absence de programme de gouvernement. Elle est pourtant parfaitement logique. Il n’en a pas besoin et énoncer un programme pourrait même s’avérer contre-productif. Son projet étant essentiellement de rassembler le plus grand nombre, il se doit de ne rien révéler de ses intentions, pour n’écarter personne. Son positionnement, qui le place au centre, non pas par conviction mais par simple arithmétique électorale, est incompatible avec un programme de gouvernement dans lequel il serait conduit à exposer dans le même discours une série de propositions et leur contraire. Au XVII éme siècle, le Cardinal de Retz écrivait dans ses mémoires : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment » Gageons que notre ancien « khâgneux » a faite sienne cette maxime…
Regardant son discours de Lyon, je me faisait cette réflexion qu’il fallait quand même prendre quelques libertés avec l’histoire de notre pays pour faire tenir dans le même discours des gens comme Zola, Jaurès, Péguy, de Gaulle, Mitterrand et Seguin. D’autant plus que ces gens-là, à l’exception notable de François Mitterrand, n’ont jamais fait mystère d’être plutôt nationalistes, même si aujourd’hui, on préfère parler de souverainisme ou de patriotisme.
Au début du XX ème siècle, on parlait de nation et de nationalisme et c’est Jaurés qui disait ;
« La nation, c’est le patrimoine de ceux qui n’ont rien » et Péguy, dans les « Cahiers de la quinzaine » disait la même chose. De Gaulle, valeur sûre, surtout en période électorale, incontestablement influencé par Péguy, mettait la nation au centre de la plupart de ses discours et Seguin était indéfectiblement gaulliste. Visiblement, ce n’était pas cet effet qui était recherché par Emmanuel Macron, mais celui de partager équitablement la gauche et la droite pour « ratisser large ».
En ce sens, il fait du « Raymond Barre » qui pensait lui aussi, qu’il fallait une sorte de gouvernement consensuel, plus facile à manier par les « influences extérieures » et notamment les mouvements mondialistes partisans du libre-échange généralisé. En son temps, Barre avait participé aux réunions de la Commission Trilatérale et Macron a été invité à la conférence du Club des Bilderberg en 2014. Il a été nommé ministre trois mois plus tard…
Mais revenons sur la neutralité déclarée de ce dernier. Il sait très bien que les idées mondialistes sont en net recul un peu partout dans le monde. La religion du « libre-échange » sur laquelle on a tenté de construire l’Union Européenne ne remplit plus ses temples et les traités transcontinentaux qui devaient parachever cet édifice sont plutôt mal en point. Il ne va donc pas essayer de les « vendre » à son électorat qui, d’ailleurs, ne le demande pas. Il devra agir « en sous-main » après son élection et se dévoiler dès maintenant ne pourrait que diminuer ses chances.
Sans vouloir avoir le cynisme d’un Hollande durant son discours du Bourget, il préfère ne rien dire et axer sa campagne sur un rassemblement improbable, en jouant sur les peurs que pourraient susciter la perspective de l’élection d’un Mélenchon ou d’une Marine Le Pen. J’ai cru comprendre que, sans en avoir l’air, il avait déjà passé Fillon sur le compte « pertes et profits » de cette campagne. Benoît Hamon ne l’inquiète pas vraiment car il sait que son électorat est circonscrit au périmètre qu’il dispute à Mélenchon et qu’aucun des deux, pris séparément, ne peut l’inquiéter. Son objectif est donc d’arriver au second tour, qui devrait se prolonger, du moins le croit-il, par sa victoire sur Marine Le Pen.
Les choses risquent de se révéler un peu plus compliquées. Il y a une catégorie d’électeurs qui ne semble pas être au centre de ses préoccupations. C’est celle qu’on appelle « la classe populaire » et c’est elle qui sera déterminante dans l’élection. Longtemps cataloguée « indéfectiblement à gauche » les résultats des dernières élections montrent que ce n’est plus exclusivement le cas. Une partie non négligeable a déjà rejoint le mouvement de Marine Le Pen et cela risque de s’amplifier. Une autre partie de cet électorat restera probablement fidèle au tandem Hamon – Mélenchon, mais tous les déçus de la « gauche modérée, libérale et bo-bo » ne suivront pas. Ils auront alors au second tour le choix entre Marine et l’abstention. Et ceux-la ne semblent guère sensibles au discours de l’énarque-banquier d’affaires qu’est Manuel Macron, même s’il leur parle du RSA, en considérant que c’est un salaire universel. Ils ont gardé en mémoire l’échange sur le costume et les propos concernant les jeunes milliardaires. Comme disait Mitterrand, « les vieux péchés ont de longues ombres »
Et on peut leur faire confiance pour se souvenir que Macron, même s’il n’est ni à droite ni à gauche, n’est pas non plus de leur côté…
** Nom donné aux élèves des classes préparatoires littéraires, elles-mêmes appelées Hypokhâgne et Khâgne. Celles d’Henri IV sont parmi les meilleures.
Jean Goychman