Jean Goychman – Quand les marchés tuent… le marché !
Il y a quelques semaines, je vous parlais du « dérèglement climatique » de la finance mondiale et de l’attitude des banques centrales qui inondaient littéralement les circuits financiers d’un flot d’argent créé « ex-nihilo » On aurait légitimement pu penser qu’un sentiment salvateur se serait emparé des grands acteurs de cette finance. L’intervention de Jamie Dimon, patron de la JP Morgan-Chase le laissait présager en prédisant une crise dont les effets seraient supérieurs à celle de 2008.
Il y a quelques jours, la BOC (Bank Of China) a procédé à une dévaluation de la monnaie chinoise, étalée sur plusieurs jours en raison de la fébrilité des marchés. La bourse de Shangai (première capitalisation chinoise) abaissé d’environ 30%, mettant ainsi en émoi l’ensemble des bourses mondiales, qui ont dévissé à leur tour. Cette situation de « krach boursier potentiel » affole depuis 2008 ce qu’il est convenu d’appeler « l’oligarchie financière internationale2 ».
Un petit retour en arrière s’impose pour bien appréhender la situation générale. En 1999, l’abrogation du « Glass Steagall Act3 » a définitivement sorti l’activité des banques de toute réglementation. Cela signifie qu’elles n’ont que les limites qu’elles se donnent elles-mêmes, notamment pour ce qu’il est convenu d’appeler les « effets de levier ». Pour simplifier, ces effets représentent le rapport entre les fonds propres d’une banque et les prêts qu’elle concède à ses clients. Un ratio élevé augmente ainsi la rentabilité de la banque dans des proportions considérables puisqu’il est ramené aux fonds propres de cette banque. Ainsi, une banque dont le capital est de 10 millions d’euros, si elle prête à ses clients 100 millions d’euros à 3%, verra son taux de rentabilité passer de 3% à 30% en raison d’un effet de levier égal à 10.
Si cet effet passe à 30, voire à 50, l’affaire deviendra encore plus juteuse, car la banque créée par une simple ligne d’écriture l’argent qu’elle prête et ne paye dessus aucun intérêt.
L’inconvénient est que cette banque devient de plus en plus vulnérable, car la faiblesse de ses fonds propres, s’ils sont un critère de rentabilité, sont également son « talon d’Achille »
Imaginons une banque dont l’effet de levier est de 30. Son en-cours de prêts représente 30 fois son capital ; si elle perd ne serait-ce que 3% de son capital, elle est en faillite. Il suffit donc que le cours de son action baisse de 3% pour qu’elle disparaisse. Et c’est là le problème lancinant qui hante les nuits des financiers. Or, l’argent mis à profusion sur les marchés par les banques centrales –soit disant pour aider l’économie- a eu pour première conséquence la création d’une « bulle financière » qui a conduit à survaloriser le prix des actions, y compris naturellement celui des banques, dont certaines ont racheté leurs propres titres.
Le système bancaire mondial repose essentiellement sur 28 établissements qui sont classés comme « systémiques4 », mot savant pour dire que la faillite d’une seule d’entre elles risque d’entrainer l’ensemble dans le naufrage. Cette conception du « too big to fail » (trop grosse pour tomber) a entrainé les pires excès lors de la crise de 2008, excès qui se traduisent pour nous par une dette publique gigantesque de 2.000 milliards d’euros, dont 600 provenant de la crise.
Pour éviter à tout prix l’éclatement de cette bulle, et cela semble être une priorité absolue pour les Banques Centrales, dont l’existence est liée à ce système, sont donc prêtes à tout. Elles créent « à tout va » de la monnaie venant de « nulle part » afin de renforcer les fonds propres des banques systémiques pour leur éviter la faillite. Elles opèrent donc des rachats de dettes (pudiquement appelés rachats d’actifs) auprès de ces banques, ce qui revient à les sur-endetter ces banques centrales. Cela ne règle que très momentanément le problème, car il va bien falloir
que ces dettes, présentes dans les bilans de ces banques centrales, trouvent preneur à leur tour. Ces nouveaux preneurs ne peuvent être que les Etats, donc les contribuables de ces Etats en dernier ressort, qui seront priés de payer l’ardoise.
Cela se traduit au niveau des marchés boursiers par une très grande instabilité (les financiers préfèrent le terme de volatilité) qui montre que les choses n’ont plus de valeur réelle. Ce sont des centaines de milliards de dollars (ou d’euros) qui peuvent en quelques minutes être détruits ou créés par des mouvements d’achat ou de vente de titres. Pour ajouter à la confusion générale, ces mouvements s’effectuent automatiquement, grâce à la programmation d’algorithmes en quelques millièmes de seconde, ce qui fait qu’ils deviennent impossibles à analyser.
La capitalisation boursière mondiale représente environ 60.000 milliards de dollars5 dont près de 30.000 milliards pour la seule bourse de New-York. Si elle perd 3% en une seule journée, ce sont 900 milliards de dollars qui partent en fumée, soit presque la moitié de la dette publique française. Ce système apparaît aujourd’hui totalement désorganisé, et le récent krach survenu à la bourse de Shanghai a montré avec quelle vitesse un « tsunami » financier pouvait se propager dans l’ensemble du monde.
Basé au départ sur la loi simple de l’offre et de la demande, où les cours des actions représentaient la confiance que les actionnaires mettaient dans l’entreprise sur le long terme (les actions changeaient peu de main), il s’est perverti par l’introduction de technologies nouvelles jusqu’à devenir purement spéculatif. La durée de rétention de certains titres est parfois inférieur au 1/10ème de seconde, et les opérateurs boursiers vont jusqu’à se rapprocher le plus possible des terminaux boursiers afin de diminuer le temps d’accès des données.
L’apparente impossibilité de trouver le moyen efficace pour règlementer les banques, rôle qui aurait pourtant dû échoir aux banques centrales, conjuguée à une spéculation que rien ne semble pouvoir endiguer, est en train de tuer ce système d’échange, sur lequel est malheureusement basé l’ensemble du système économique mondial. Si le libéralisme économique, qui est finalement la liberté d’entreprendre est incontestablement à l’origine du développement qu’ont connu les pays européens d’abord, les Etats-Unis ensuite puis enfin les pays émergents, l’excès de libéralisme, qu’on appelle le « néo-libéralisme » est en train d’anéantir près de deux siècles de croissance économique qui avaient permis l’émergence d’une classe « moyenne » sans laquelle aucune démocratie ne peut vivre.
Jean Goychman
1 Voir https://archives.gilbertcollard.fr/blog-2/avis-de-tempete-sur-locean-de-la-finance/
2 Voir : https://archives.gilbertcollard.fr/blog-2/jean-goychman-oligarchie-financiere-attention-danger/
3 Le « Glass Steagall Act » adopté en 1933 par le Congrès américain imposait la séparation étanche des activités bancaires (dépôts et investissements) et la création d’une assurance fédérale pour les dépôts bancaires. Combattu avec acharnement par le système bancaire, Bill Clinton l’abrogera en 1999
4 Voir « l’hydre mondiale » de François Morin Editions LUX 2015
5 Données 2014