Jean Goychman – L’argent va tomber du ciel…
Ecoutant la radio ce matin, j’ai cru l’espace d’un instant que nous étions le 1er avril. Le chroniqueur venait d’annoncer que la BCE envisageait sérieusement de nous faire le coup de « l’hélicoptère ». Evoquée en 1969 par Milton Friedman (1), cette proposition qui consiste à jeter l’argent non plus par les fenêtres mais hors d’un hélicoptère qui survolerait les populations n’a jamais vraiment été prise au sérieux jusqu’ici. Friedman expliquait qu’en procédant ainsi, on fournirait gratuitement de la monnaie à des gens qui s’empresseraient de dépenser cet argent, provoquant ainsi une certaine inflation.
Intrigué comme vous pouvez l’imaginer, j’ai cherché à en savoir un peu plus. Il me paraissait « loufoque » (et c’est un doux euphémisme) qu’au moment même où tous les peuples européens, au nom de la sacro-sainte compétitivité, risquent de voir leurs revenus diminuer dans des proportions importantes, d’aucuns paraissent tentés par l’idée de les noyer sous un tapis de billets fraichement imprimés par les soins de la Banque Centrale Européenne.
Et c’est là le moment où on peut mesurer la réalité des contraintes que la haute finance (autre vocable pour nommer l’oligarchie financière) impose aux petits peuples que nous sommes.
Depuis toujours, on nous a répété qu’il fallait gagner son pain « à la sueur de son front », que si vous avez des dettes, il faut les rembourser car « bien mal acquis ne profite jamais » et autres poncifs qui semblent aujourd’hui mis à mal. Bientôt, il suffira de soulever le sabot du cheval…
Jusqu’à présent, le privilège d’être abreuvé en argent frais était réservé aux banques, et Dieu sait si « super-Mario » les a gavées. Seulement voilà, le seul « paramètre de pilotage, là où il faut « tenir la croix au centre » c’est l’inflation, qui doit être maintenue en dessous de 2%, mais pas trop. Disons 1.98 et tout irait bien. Et c’est cela qui ne va pas. L’inflation n’est pas assez rude et le spectre abhorré de la déflation continue à roder dans nos parages. D’où le branle-bas de combat. Malgré les 80 milliards d’euros imprimés chaque mois et échangés contre des dettes dont nos banques se séparent sans trop de chagrin, question inflation, que dalle. Pas une rame. A tel point que sur le mois de février, les prix ont baissé. La faute à qui ?
A tous ces pégreleux qui refusent de faire leurs courses comme avant et qui lésinent sur tout.
D’où l’idée qu’elle est bonne, de leur filer gratos de la thune pour qu’ils achètent tout et n’importe quoi. On s’en fiche, il faut que les prix grimpent pour satisfaire tonton Mario.
Des esprits inventifs aimant bien les statistiques ont même calculé que chacun d’entre nous pourrait ainsi percevoir gratos environ 175 euros. Certes, il faudrait définir la forme sous laquelle cette manne céleste (c’est le cas de le dire) parviendrait jusqu’à nos poches. Il y a quand même une petite difficulté -dont personne ne parle- liée au fonctionnement d’une banque centrale. Son rôle est essentiellement de contrôler la masse monétaire en circulation dans le pays. S’il y a trop de monnaie en circulation, d’après la théorie, le pouvoir d’achat de la monnaie baisse et les prix augmentent. Pour assurer la stabilité des prix, la banque centrale va donc chercher à diminuer la monnaie en circulation. A l’inverse, si les prix baissent, on voit poindre le spectre de la déflation et il faut émettre de la monnaie. Ca, c’est la théorie.
En pratique, ça ne marche pas forcément. En fait, ce qui arrangerait tout le monde (sauf nous), c’est que les salaires diminuent et que les prix augmentent. Pas facile, car moins on a d’argent et moins on consomme. D’autant plus que la banque centrale doit quand même présenter un bilan qui, comme tout bilan doit indiquer une balance actif – passif équilibrée. Cela implique que les billets imprimés le soient contre quelque chose qui rentre dans le bilan de la banque.
Comme on n’aime pas le mot « dette », on utilise celui de « rachat d’actif », ça fait plus riche.
Mais quel que soit le terme employé, il faut que quelqu’un s’endette pour que la banque centrale sorte ses billets, même pour les mettre dans un hélicoptère. Vous voyez où je veux en venir. Qui donc, dans une telle hypothèse, va s’endetter ? Car il faut quand même un minimum de crédibilité, sinon on refait le coup des « subprimes »(2)
Hormis les Etats, on ne voit pas qui pourrait le faire. Et là, ça risque de coincer dur. En effet, les critères dits « de convergence » que doivent respecter les pays de la zone euro sont assez contraignants. Même si plus personne ne les respecte, tous se sont engagés, lors de la signature du « traité de la règle d’or » en 2012, à y revenir.
Bref, vous avez compris, tout ça se « mord un peu la queue ». Il y a manifestement « quelque chose qui cloche » dans le fonctionnement de la zone euro. Alors, pourquoi nous avoir vanté les immenses qualités d’un système de banque centrale indépendante, justifié par le fait que les politiques, considérés comme « sensibles à leur clientèle électorale » avaient un goût immodéré pour l’emploi de la planche à billets et qu’il fallait à tout prix leur retirer ce jouet ?
Pourquoi avoir fait passer la loi du 03 janvier 1973, qui obligeait notre pays à financer ses dépenses publiques auprès des banques privées (contre intérêt, naturellement) pour en arriver là ? On a donc transformé l’inflation en dette et maintenant on risque d’augmenter la dette pour générer de l’inflation. C’est un peu comme le sapeur Camembert qui bouchait les trous avec la terre provenant de trous qu’il creusait pour la circonstance.
Ne vaudrait-il pas mieux, quitte à créer de la monnaie en grande quantité, reprendre notre liberté monétaire en quittant l’euro et financer un vaste programme de travaux publics et de grands équipements. Au moins l’inflation générée entrainerait la dévaluation de notre monnaie et augmenterait ainsi notre compétitivité, y compris vis-à-vis de nos « partenaires européens » qui sont par ailleurs souvent plus concurrents que partenaires. En plus, cela permettrait de créer des emplois tout en assurant un redémarrage de notre économie.
(1) Milton Friedman (1912 – 2006) est considéré comme le père de l’Ecole de Chicago, dont le mouvement néo-libéral s’est fortement inspiré. Friedman était un monétariste qui pensait que la valeur de la monnaie était sans influence sur l’économie. Il était néanmoins assez critique vis-à-vis de l’euro, dont il comparait la création à un grand jeu de hasard
(2) On appelle souvent la crise de 2008 la « crise des subprimes » Les organismes de crédit ont voulu exploiter une niche ; celle des gens qui n’avaient pas ou très peu de ressources. Ils leur permettaient d’acheter de l’immobilier avec des prêts à taux variables en pensant que les prix des maisons ne pouvaient que monter et que, même si les emprunteurs faisaient défaut, ils revendraient avec bénéfice les biens financés. On a vu la suite…