Jean Goychman – La Grèce : seule contre tous
Ou presque. Personne, et en tout cas pas moi, ne sait ce qui va se passer pour la Grèce, même si pour ma part, j’ai un faible pour la sortie de la Grèce de la zone euro et de l’UE. Mais ce qui me frappe, c’est que, dans la zone euro qui compte 18 pays, il ne s’est pas élevé une voix, même petite, pour aller au secours de la Grèce. Elle est belle, la solidarité entre les Etats !
Pourtant, ce ne sont pas les réunions qui ont manqué. Et ils étaient tous là, à regarder le bout de leurs chaussures. Les rares qui se sont exprimés publiquement ne l’on fait que pour faire peur aux Grecs. Pensez-donc, si vous quittez l’euro, vous êtes morts. Toutes les calamités du monde vont s’abattre sur vous, vous aurez la peste, le typhus et le choléra réunis…
Hier soir, je suis tombé en arrêt devant une vidéo tournée à Saint Petersbourg, à l’occasion d’un forum économique. Alexis Tsipras, qui n’avait pas vraiment l’air inquiet, disait que le problème de la zone euro n’était pas la Grèce, mais la zone euro elle-même. Je vous donne le lien car c’est assez instructif… https://www.youtube.com/watch?v=mrguGqWHiFk
Le hasard faisant parfois bien les choses, pas plus tard que ce matin, Rafael Correa, président de l’Equateur, répondait aux questions d’un journaliste d’Euronews à l’occasion d’une réunion à Bruxelles. Devinez de quoi il parlait : de la Grèce, bien sûr ! http://www.replay.fr/rafael-correa-les-conditions-imposees-a-la-grece-n-ont-jamais-vise-a-surmonter-la-2336275
Et que disait-il ? Exactement l’opposé de tout ce que nous racontent les dirigeants politiques européens, Angela Merkel et Jean-Claude Junker en tête. Et il va même plus loin, en disant que les conditions que veulent lui imposer la Commission, le FMI et la BCE ne lui permettront en aucun cas de sortir de cette crise due à un endettement pharamineux.
En homme d’expérience qui sait de quoi il parle, il nous explique que, concernant la dette, son pays et beaucoup d’autres pays d’Amérique du Sud, ont déjà donné.
Permettez-moi de citer ce bref passage :
« Vous savez, nous les Sud-Américains, nous savons de quoi nous parlons. Les crises, nous les avons toutes subies, et nous observons avec inquiétude que l’Europe commet les mêmes erreurs. Le cas de la Grèce, c’est-à-dire toutes les conditions qui lui sont imposées, le paquet de mesures du FMI, nous sommes experts, nous les Latino-Américains. Cela n’a jamais servi à liquider la crise, mais à surmonter la dette »
Et il poursuit en expliquant que le FMI avance effectivement de l’argent, mais exige en contrepartie des diminutions des salaires, des retraites, et interdit tout investissement. Le FMI dégage donc des revenus, mais qui ne restent pas dans le pays. Ces sommes ainsi dégagées ne servent qu’à rembourser les dettes que les pays ont contracté auprès de banques privées. Ces pays, en définitive, n’ont rien obtenu pour eux. Ces pays s’endettent donc auprès des institutions internationales, mais les banques privées sont ainsi mises à l’abri du risque.
Il se dit très inquiet de voir l’Europe s’engager dans cette voie, car cela signifie évidemment la suprématie du capital sur les peuples, au nom d’une science présumée qui n’est qu’une idéologie au service des intérêts financiers.
Voici donc le décor planté. La parole de ceux qui ont subi, même si elle n’est pas d « évangile » est de nature à interpeller les peuples. Le rôle du FMI est mis en doute. On sent pointer dans les opinions publiques, mêmes modérées par nature, une sourde interrogation :
Quelle est la finalité de tout cela ? Où sont les promesses d’un avenir économiquement radieux dans une Europe apaisée ?
J’observe depuis quelques jours les tenants de l’idéologie dénoncée par Rafael Correa se rendre en rangs serrés dans les studios de radio et de télévision pour prêcher leurs bonnes paroles, toutes inspirées du fameux « TINA1 » de Margaret Thatcher. Il est, par ailleurs, assez significatif de constater que c’est le peuple Anglais qui manifestait hier à Londres, réclamant la fin de l’austérité budgétaire. Apparemment, nos dirigeants européens ont cru, le temps faisant son effet et interprétant à leur façon le « qui ne dit mot consent » qu’ils avaient réussi à faire triompher d’une manière irrévocable l’idéologie néo-libérale.
Eh bien, non ! Comme aurait dit de Gaulle, il y a 75 ans, « elle n’est pas seule ! » La Grèce représente aujourd’hui une lueur d’espoir pour des millions de gens, victimes d’une austérité qui refusait de dire son nom et dont le but, soigneusement dissimulé, était aux antipodes des promesses faites. Car le processus est bien au point, engagé depuis des décennies. Le métier des banques privées est de prêter de l’argent. Cela comporte un risque, car cet argent peut ne pas être remboursé. Comment minimiser ce risque : en prêtant aux Etats, dont la solvabilité est garantie par les contribuables. Mais le FMI a permis d’améliorer la performance, comme le rappelle Rafael Correa : la théorie du libéralisme (fut-il néo) n’est que l’habillage d’une idéologie au service d’un oligopole financier.
Le FMI, faisant mine d’aider les Etats mis en difficultés par leur endettement, impose en fait des conditions dont le seul but est de sortir les banques privées du risque lié à ces dettes.
Notons que la BCE, rachetant les « actifs » (qui sont des dettes) des banques privées au moyen d’une émission gigantesque de papier monnaie, et en les « confinant » au niveau des banques centrales locales, effectue une démarche assez similaire.
Ayons foi dans la phrase d’Abraham Lincoln « On ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps »
1 TINA signifie « There Is No Alternative » Cette phrase définitive, qu’on peut traduire par « il n’y a pas d’autre choix » est attribuée à Margaret Thatcher lorsqu’elle était 1er ministre.
Elle voulait dire que le capitalisme, la mondialisation et le marché étaient des choses nécessaires et bénéfiques, donc irréversibles.
Jean Goychman