La monnaie-dette, arme de destruction massive.

Tout le monde l’utilise, et notre vie sans elle nous apparaît inconcevable. Moyen commode de paiement au départ, puisque la richesse pouvait se trouver concentrée dans quelques grammes d’or, elle s’est imposée depuis plusieurs millénaires comme moyen d’échange quasi-universel. Pour autant, la monnaie garde en elle toute une série de secrets jalousement gardés.
Si tout le monde a une idée de sa valeur, au travers des prix des objets usuels comme le pain, le litre de lait ou le montant du loyer, on discerne cependant beaucoup plus mal la valeur totale de la monnaie circulant dans le pays et surtout ce que représente cette valeur totale.
Sans entrer dans le détail des classifications « savantes » sur lesquelles les « experts » (mot à la mode pour désigner quelqu’un qu’on invite à venir dire dans un micro ce qu’on a envie d’entendre de lui) ne sont pas d’accord entre eux, on peut dire que la monnaie d’un pays ou d’une zone donnée représente la valeur des biens (services compris, comme dans certains cafés) qui sont « achetables ». En gros, si j’ai dans ma poche tout l’argent du pays, je peux acheter tout ce qu’il produit.
Il existe donc un rapport « quasi-charnel » entre une nation et sa monnaie, un peu comme avec la langue nationale. La monnaie s’apparente donc à la richesse de cette nation et devrait donc constituer un bien inaliénable. En théorie, oui, mais en pratique, les choses sont différentes, du moins actuellement. Les premières théories de la monnaie remontent au XVIème siècle et tentaient de prouver qu’il existait une relation entre la quantité de monnaie mise en circulation et les prix des choses. En clair, plus il y avait d’argent en circulation et plus les produits étaient chers à l’achat. Cette théorie dite « quantitative » a été fortement attaquée dans les années 1970 par les libéraux et les « néo-libéraux » qui considéraient que la monnaie n’était qu’un intermédiaire neutre, dont la quantité émise ne pouvait influencer le prix des choses.
Les partisans de cette nouvelle théorie voulaient en fait s’opposer à John Maynard Keynes, qui considérait que le rôle de l’Etat était à la fois prépondérant et irremplaçable dans le développement ou le redressement économique d’un pays. En déniant ce pouvoir régulateur à l’Etat, on ouvrait la porte à la mise en place des banques centrales indépendantes et c’était probablement le but recherché. En effet, si la quantité de monnaie émise n’a pas de conséquence au niveau des prix et que ceux-ci ne dépendent que des sacro-saintes « lois du marché » on peut parfaitement confier cette tâche d’émission de monnaie à un sous-traitant.
Bien sûr, ce petit sous-traitant, pour vivre, devra prélever un intérêt proportionnel à la quantité de monnaie émise. On l’appelle le « taux directeur ».
Si, de surcroît, cette banque centrale ne peut pas, de par ses statuts, avancer directement de l’argent à l’Etat, celui-ci devra trouver un autre moyen pour financer ses dépenses, lorsqu’elles s’avèrent supérieures à ses recettes. C’est pratiquement toujours le cas, car les recettes de l’Etat, qui proviennent des impôts, sont limitées par l’exercice même de la démocratie. La sanction la plus courante étant la non- réélection des intéressés, ceux-ci préfèrent en général se maintenir au pouvoir en empruntant de l’argent auprès des banques privées plutôt que d’augmenter les impôts*.
Cette monnaie, qui n’est que l’expression d’une dette de l’Etat, se transforme alors véritablement en une arme de « destruction massive ». On se retrouve donc au bout d’un certain temps avec un endettement « insupportable » qui génère un « service de la dette » (intérêts annuels que doit payer l’Etat) qui nous oblige à emprunter encore davantage. Ce processus de « boule de neige », une fois enclenché, à très peu de chances de prendre fin.
C’est ainsi que notre dette publique (l’argent que doit l’Etat aux organismes prêteurs) connaît depuis plus de quarante ans une croissance exponentielle. Comme les banques ne prêtent pas sans prendre de garanties, pour être sûres de revoir leur argent, il faut bien que l’emprunteur, c’est-à-dire l’Etat, fournisse ces garanties. Or, en théorie du moins, l’Etat ne possède rien en propre. Tout appartient, non pas « à la société anonyme », comme dans la chanson d’Eddy Mitchell, mais au peuple français et c’est donc vers lui que va se tourner l’Etat pour le prier d’apporter ces garanties de paiement. Rien ne tranquillise plus un banquier que de savoir que l’argent qu’on lui emprunte est couvert par les impôts des contribuables du pays emprunteur.
Il existerait bien, du moins sur le papier, une autre solution. Celle-ci devient même très à la mode par les temps qui courent, et tous les « z’hommes politiques » qui veulent justifier ce qui est avant tout un système de spoliation le préconisent. Il s’agit tout bêtement de diminuer les dépenses de l’Etat. Ben voyons ! « Y a qu’à, faut qu’on ! » comme dirait… l’autre. Car ceux pour qui on dépense inutilement « l’argent du contribuable » sont toujours « les autres ».
Mais, dès qu’on va « rentrer dans la moulure », c’est une autre paire de bretelles !
Nos dettes publiques, pour que tout un chacun puisse en mesurer l’ampleur, sont libellées, bien-sûr, en milliards d’euros, et même en milliers de milliards d’euros, mais ça c’est pour les profanes comme nous, c’est-à-dire les ignorants et qui doivent le rester
Pour les autres, les initiés, le gratin, quoi, on parle en « ratio dettes sur PIB » et on l’exprime en pourcentage, pour être sûr que tout le monde soit largué en route. Du genre « venez dîner à la maison » mais sans jamais donner de date. Ainsi dans leur jargon, 60% de dettes, c’est bon, ce qui veut dire qu’on peut tondre un peu plus les moutons. A 100%, ça craint un peu plus. A 130%, on veut bien vous prêter encore, mais, compte-tenu du risque que nous prenons, vous comprendrez qu’il faut que ça nous rapporte davantage, donc nous augmentons les taux d’emprunts. C’est comme ça que les pays les plus endettés doivent s’endetter encore davantage pour simplement survivre.
Alors, ils doivent diminuer leurs dépenses, ces mauvais élèves. Ils ont trop d’avantages, ils ont trop bien vécu, ils se sont trop amusé, telles les cigales de la fable. Donc terminée la fiesta, place à la rigueur. Vous allez travailler plus et plus longtemps, et bien sûr pour moins cher car vous n’êtes pas com-pé-ti-tifs. Ce discours dit « d’austérité » a été tenu partout et n’a jamais donné les résultats escomptés. Il suffit de voir l’endettement des pays de zone euro. Qu’on ne se méprenne pas sur mon propos. Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire d’économies sur les dépenses de l’Etat ni qu’il ne faut pas chercher une meilleure compétitivité. Je dis simplement que les moyens proposés sont inefficaces.
Nous voulons inverser les deux facteurs, alors que les choses doivent se faire dans un ordre précis :
Il faut d’abord retrouver la maîtrise de notre monnaie, assainir notre situation financière, et seulement ensuite pérenniser la situation en réduisant les dépenses de l’Etat. Il est évident que cela ne peut se faire que par une dévaluation compétitive, seule capable de relancer la machine économique et créer les emplois dont nous avons besoin. Ce n’est pas lorsque le taux de chômage s’établit à11% ou plus qu’on peut envisager de toucher aux emplois de la fonction publique. Le pays ne peut accepter de telles mesures que si des possibilités de réemploi existent réellement. Autrement, nous allons simplement transformer en chômeurs ou en pré-retraités les gens qui occupent aujourd’hui les emplois destinés à être supprimés.
Cela n’aura d’autre effet que d’augmenter encore notre dette car le PIB en diminuant va augmenter notre ratio d’endettement. C’est de ce piège que constitue la monnaie-dette dont nous devons nous extirper au plus vite. Cette monnaie est en train de détruire notre économie, non parce qu’elle s’appelle l’euro, mais parce que nous ne pouvons pas la contrôler et que ceux qui la contrôlent n’ont à l’évidence pas les mêmes intérêts que nous.
Permettez-moi de vous citer ce propos de Benjamin Franklin tenu à Londres en 1763 qui donnait au responsable de la banque d’Angleterre la raison de la prospérité des colonies américaines :
« C’est très simple : nous émettons notre propre monnaie en raison des besoins de notre commerce et notre industrie. Ainsi, les produits passent facilement des mains des producteurs à celles des acheteurs. En créant notre propre papier-monnaie, dont nous garantissons le pouvoir d’achat, nous (le gouvernement) n’avons plus d’intérêts à payer à qui que ce soit. »
*Pour ne pas augmenter les impôts et pensant diminuer notre endettement, N Sarkozy, ministre des finances, a décidé de vendre environ 600 tonnes d’or entreposées à la banque de France. Ce ne fut pas une très bonne opération car l’or valait en 2002 environ 400 $ l’once contre 1300 en 2010, la crise étant passée par là.
http://www.20minutes.fr/ledirect/875784/vente-20-stock-or-francais-epinglee-cour-comptes
**. Remarquons au passage que les dettes sont libellées dans la monnaie du pays. Si cette monnaie change, la dette est automatiquement convertie dans la nouvelle monnaie, puisque ce qui compte, ce sont les garanties. Si la nouvelle monnaie est dévaluée, la dette diminue mécaniquement.
J Goychman
Tout à fait d’accord avec l’article
Mais les gens sont persuadés que le retour au Franc et la dévaluation seraient leur ruine; même des experts financiers l’affirment. Comment faire ? Il faudrait peut-être plus de débats encore, ou articles avec tableau noir, révision des bases et des CQFD à tout instant pour en finir avec avec cet achoppement. Merci de vous y être collé