Les jeunes gaullistes sont-ils vraiment…gaullistes ?
Les jeunes gaullistes ont remis à Nicolas Sarkozy le « prix de l’appel du 18 juin ». Cette distinction vient récompenser « une personnalité gaulliste par son parcours et ses prises de position » J’ai beau savoir que la mode est de créer ce genre d’évènement médiatique un peu vide de sens, j’ai du mal à discerner dans le parcours de Nicolas Sarkozy ce qui pourrait, même de loin, correspondre à cette définition. A vrai dire, même si il lui est arrivé d’utiliser dans certains de ses discours des « accents gaulliens » son comportement et ses actions l’ont délibérément placé aux antipodes de ce qu’on peut appeler le gaullisme.
De Gaulle était avant tout un pragmatique. Il croyait « aux vertus de l’action éclairée par les lumières de la pensée » Il aimait aller « au fond des choses » et les « réduire en nombres premiers » Son analyse des situations, essentiellement basée sur des réalités, lui permettait de discerner les causes et les conséquences de façon à agir sur les premières pour orienter les secondes. Très tôt, probablement dès 1941, il avait prédit la victoire des Alliés, avant même que les Etats-Unis entrent en guerre. Mais, au-delà de cette victoire acquise, il avait déjà perçu les intentions « mondialistes » américaines. « L’ambition qu’avait Roosevelt de faire la loi et de dire le droit dans le monde » écrivait-il dans ses mémoires de guerre. Son appel était destiné à prendre date dans l’Histoire, dire que la France était éternelle et ne saurait se fondre dans aucun autre ensemble.
Toute son action durant la guerre fut donc de mettre la France dans le camp des vainqueurs afin d’éviter qu’elle disparaisse en tant que nation, après la fin du conflit. Ne voulant pas qu’on le prenne pour le « porte-valise » de Roosevelt ou de Churchill, il prit contact avec les soviétiques qui donnèrent leur accord pour équiper une escadrille de chasse : Le groupe Normandie, qui allait combattre sur le front russe aux côtés des forces soviétiques, affirmant ainsi clairement l’universalité et l’indépendance de la France Combattante.
Pour de Gaulle, la nation était une réalité. Il disait volontiers « la seule réalité internationale, ce sont les nations » Certains voient dans l’existence des nations un obstacle à leur rêve mondialiste, d’autres y voient une protection commune, une sorte de mise en commun de ce qui rapproche les gens d’un même peuple. De Gaulle, beaucoup influencé par la pensée de Charles Péguy, mais aussi par celle de Charles Maurras*, était persuadé de l’existence de cette réalité qui transcendait toutes les idéologies. Il s’était délibérément placé au dessus des partis politiques, dont il détestait « les jeux stériles ou s’égare la nation ».
« Je n’aime pas les communistes parce qu’ils sont communistes, je n’aime pas les socialistes parce qu’ils ne sont pas socialistes, et je n’aime pas les miens parce qu’ils aiment trop l’argent.» disait-il sans ambages pour montrer le mépris dans lequel il les tenait.
Nicolas Sarkozy est arrivé au pouvoir porté par un parti : l’UMP, rassemblement hétérogène de partisans d’une droite et d’un centre néolibéral, européistes et plus ou moins fédéralistes. Je veux bien concéder qu’il y ait eu avant une fraction de souverainistes, mais ça, c’était avant…
L’engagement européen de Sarkozy et les positions qu’il a prises durant son mandat sont-ils compatibles avec le terme de « gaulliste » ? La réponse est claire, non.
Elu en 2007, ses premières actions furent la remise de la France sous le commandement de l’OTAN et le contournement du référendum de 2005.
Revenir sous le commandement intégré de l’OTAN, c’était se soumettre à la volonté américaine. Lorsqu’en 1966, de Gaulle avait décidé de quitter cette organisation, il s’en était expliqué : » La France considère que les changements accomplis ou en voie de l’être, depuis 1949, en Europe, en Asie et ailleurs, ainsi que l’évolution de sa propre situation et de ses propres forces ne justifient plus, pour ce qui la concerne, les dispositions d’ordre militaire prises après la conclusion de l’Alliance. »
Comment justifier cette décision contraire en 2007 alors même que l’OTAN a perdu sa raison d’être depuis 1991, année de l’éclatement du bloc soviétique, si ce n’est au travers d’un acte d’allégeance aux Etats-Unis ?
Quant au référendum confisqué, eut-il été un seul instant envisageable sous de Gaulle.
Comment est-il possible de concilier notre loi fondamentale, qui donne la souveraineté au peuple, et au peuple seul, avec une telle manœuvre purement politicienne ? On peut reprocher beaucoup de choses à de Gaulle, et certains ne s’en sont pas privés, l’accusant même de despotisme parce qu’il ne partageait pas leur vision ou qu’il s’opposait à leurs petits calculs, mais on doit lui rendre cette justice qu’il n’a jamais eu recours à de telles manœuvres.
Non pas, du reste, parce qu’il en eut été incapable, mais parce qu’il agissait uniquement en raison de ce qu’il pensait être l’intérêt de la France et du peuple français.
En avril 1969, après le résultat du référendum sur la décentralisation, de Gaulle a cessé ses fonctions sur le champ En 2005, les français ont voté non au projet de traité constitutionnel européen. Croyez-vous qu’on ait respecté le vote des français ? Bien sûr que non, le président Sarkozy s’est appuyé sur le parlement réuni en congrès pour modifier la constitution, dans l’intention délibérée de « flouer » le peuple français. Cette démarche est-elle compatible avec l’éthique gaulliste ?
Toute la politique européenne menée par Nicolas Sarkozy a été essentiellement déterminée par la volonté constante d’une plus grande intégration européenne, depuis le traité de Lisbonne, signé en décembre 2007 jusqu’au pacte budgétaire européen de mars 2012. Il faudrait avoir une singulière imagination pour y voir la continuité de la politique européenne menée par de Gaulle.
Mais ce n’est pas tout ; sur le plan international, il serait plus qu’audacieux de comparer l’attitude de Gaulle, affirmant la position indépendante de la France tant au moyen orient, ou il a décidé et fait appliquer l’embargo sur l’armement français à destination d’Israël en 1967, en Asie ou il a reconnu la Chine et prononcé le discours de Phnom Penh et sa tournée en Amérique Centrale et du Sud ou il a dénoncé avec force l’interventionnisme américain., avec l’attitude de Nicolas Sarkozy qui n’a guère perdu d’occasion pour faire allégeance à la politique étrangère américaine, notamment en Lybie.
Alors, au-delà des effets d’annonces et de récupération politique, probablement justifiés par la situation désespérée dans laquelle se retrouve l’UMP, laissons le « Sarkozisme » à Sarkozy et le gaullisme à … de Gaulle !
*de Gaulle a déclaré : « Maurras est devenu fou à force d’avoir raison »
Jean Goychman