Jean Goychman – Règlementation bancaire : la grande farce
Dans un documentaire récent, diffusé sur la chaîne Arte et repris par LCP, intitulé « Goldman Sachs, la banque qui dirige le monde », les auteurs Jérôme Fritel et Marc Roche nous ont présentés une enquête pour le moins explosive. Les pratiques de cette banque sont mises en lumière, quelquefois même par des témoignages vécus de l’intérieur. Présente partout où il y a de l’argent à gagner, sans qu’elle risque pour autant le moindre dollar de ses fonds propres, cette banque d’investissement (1), créée en 1869 par Marcus Goldman, a eu cependant une existence discrète jusqu’à ce que la crise dite « des subprimes » de 2007 révèle le rôle « ambigu » (et c’est un doux euphémisme) qu’elle a joué, notamment en recommandant à ses propres clients d’achetés des produits « titrisés » (2) alors qu’elle en connaissait les effets nocifs à terme. Elle-même s’est bien gardée d’en acheter et a poussé le cynisme en s’assurant contre le risque de faillite de ceux à qui elle recommandait ces achats. Comme aurait dit le regretté Michel Audiard : « Je ne critique pas le côté farce, mais côté fair-play, il y aurait quand même à redire… »
Derrière la Goldman Sachs, c’est l’ensemble du système bancaire mondial qui semble pris de la même frénésie. Seuls comptent aujourd’hui la perspective des bénéfices à réaliser, et peu importent les conditions dans lesquelles ils se réalisent. La crise de 2007-2008 a réussi à matérialiser un concept qui n’était jusque-là que subodoré. Je veux parler du « too big to fail », ce qui en français signifie « trop important pour faire faillite » C’est donc la reconnaissance implicite de l’impuissance des gouvernements à soumettre les grandes banques à la moindre réglementation, les laissant ainsi décider seules de ce qu’elles ont envie de faire. Vient alors la grande interrogation. Si les hommes politiques, élus démocratiquement, du moins dans la plupart des pays occidentaux, n’ont pas le pouvoir de contraindre les banques à accepter un certain nombre de règles, comment la souveraineté du peuple peut-elle encore avoir un sens ? Comment interpréter la fameuse phrase de François Hollande dans son discours prononcé au Bourget début 2012 : « Mon véritable ennemi, c’est la finance ! » Est-il naïf où cynique ? Son prédécesseur avait déjà essayé, après que la crise financière de 2008 ait causé des ravages, de nous faire croire qu’il allait lui aussi régler son compte à cette hydre financière.
Car le véritable danger qui aujourd’hui menace nos démocraties n’est plus un danger « politique » Les prises de pouvoir par des dictateurs plus ou moins fascisants, même si elles sont constamment mentionnées dans les médias, ne sont que des leurres pour dissimuler la véritable cause de ce nouveau totalitarisme patiemment mis en place depuis des décennies par une oligarchie financière mondialisée. Certains pays d’Amérique du Sud ont fait, à leurs dépens, cette expérience dramatique au cours du siècle passé. Comment expliquer le silence des médias sur le nombre de postes-clés occupés par des anciens de Goldman Sachs dans la finance européenne ? Et la Goldman Sachs n’est qu’une seule banque « systémique »(3) parmi 28 autres.
Mais il n’y a pas que l’Europe. Depuis plus de 30 ans, presque tous les secrétaires du Trésor Américain proviennent du même endroit. Difficile de croire à une coïncidence, et l’argument souvent avancé, qui consiste à dire que « ce sont les meilleurs, car Goldman Sachs ne prend que les meilleurs » est tout simplement risible. Ce qui apparaît de plus en plus clairement, c’est que les trois principales banques centrales occidentales, la FED, la Banque d’Angleterre et la BCE, qui ont le pouvoir de contrôler le dollar, la livre sterling et l’euro, sont sous la coupe de cette oligarchie financière. Comment ne pas rapprocher cela de la phrase prononcée par le
patriarche Mayer Amschel Bauer (4) (ou du moins qui lui est attribuée) « Si j’imprime les billets, je me fiche de qui fait les lois… » Le contrôle sans partage des monnaies par ce système qui échappe à tout pouvoir politique pose un véritable problème à nos démocraties.
Peut-on un seul instant imaginer un peuple souverain qui serait réduit au silence et à l’obéissance aveugle parce qu’il n’aurait plus les moyens de se faire entendre au niveau économique ? C’est malheureusement ce qui s’est passé en Grèce au début de l’été et plus récemment en Espagne. Les intérêts de ce système bancaire international sont diamétralement opposés à ceux des peuples. Ce qu’on appelle la « mondialisation » n’a pas d’autre réalité que celle de faire fabriquer dans les pays pauvres au plus bas coût possible des marchandises qui seront revendues aux pays riches avec la plus grande marge. La crise de l’emploi que connaît notre pays depuis des années est une conséquence directe de cette déréglementation de l’économie mondiale.
Et le problème s’est considérablement aggravé par la perte du contrôle de la monnaie. La monnaie unique, dont on nous a tant vanté les bienfaits, présentait un avantage décisif pour les marchés financiers en nous interdisant d’imprimer nos billets, ce qui a obligé tous les Etats de la zone qui ne pouvaient pas obtenir un budget en équilibre (c’est-à-dire pratiquement tous à l’exception de ceux de la zone « mark ») à emprunter des sommes de plus en plus importantes pour couvrir leurs dépenses. Les intérêts générés par ces emprunts sont rapidement devenus insupportables pour eux. La réponse du système international a été de faire baisser les taux de crédits jusqu’à les rendre nuls, afin de sauver avant tout ce système si profitable. La voie du recours à la dévaluation compétitive étant désormais interdite, c’est donc la diminution des salaires qui joué ce rôle. Mais cela ne suffit pas, à l’évidence. Il faut donc maintenant soit importer une main d’œuvre encore moins exigeante, soit délocaliser l’activité. Dans les deux cas, le résultat est le même et se traduit par une perte d’emplois régulière qui ne peut que perdurer.
Vous allez me dire : que viennent faire les banques centrales dans cette galère ? J’y arrive.
Cet été, alors que nous étions assoupis et profitant d’une période de « farniente » reconstituante, une directive européenne a vu le jour, dans le droit fil de ce qui s’est passé à Chypre en 2013, dans l’indifférence quasi-générale. Elle porte le titre de « Directive européenne sur le redressement des banques et la résolution de leurs défaillances » Tout un programme. Et devinez de quoi il s’agit ? On pourrait penser qu’en cas de faillite d’une banque, les premiers à casquer sont les actionnaires, c’est-à-dire ceux qui possèdent le capital. Oui, mais comme cela ne suffira pas, compte tenu de fonds propres en capital des banques, il faut bien aller chercher ailleurs. Et devinez ou ? Naïfs que nous sommes, ce sera dans notre poche. Cette directive autorise les banques en difficulté à saisir directement l’argent déposé sur les comptes. Oui, vous avez bien lu, c’est notre épargne qui sera saisie par les banques et cela se fera automatiquement, quasiment sans préavis. Celles-ci ne pourront désormais plus faire faillite (et je ne parle pas des banques systémiques, qui étaient déjà dispensées de faillite) mais de toutes les autres banques européennes. Les épargnants, quant à eux, devront se débrouiller pour survivre…(5)
Alors, parler de réglementer les banques ou faire mine de s’en prendre à la finance dans un tel contexte, c’est un peu prendre les gens pour des quiches, non ? Et tout ça, nous le devons à la BCE et à son gouverneur, Mario Draghi. Il a trouvé en la personne de Jean Claude Juncker un allié puissant et fidèle, qui menace de poursuite les 6 pays de l’Union Européenne qui n’ont pas encore transcrit cette directive dans leur droit national.
Pour ceux qui auraient encore des doutes, je leur conseille de voir (ou de revoir) cet excellent documentaire et de méditer sur le sort qui nous attend, nous autres pauvres clients des banques vers lesquelles nous sommes poussés, tel le bétail vers l’abattoir.
(1) Une banque d’investissement, (ou banque d’affaire) n’effectue pas les opérations classiques de banque (dépôt, compte-chèques, prêts, etc) mais conseille ses clients qui veulent investir.
(2) Les produits titrisés, appelés CDO (Colateral Debt Obligations) sont une sorte de « pudding » de prêts dans lequel certains sont sûrs et d’autres beaucoup moins. L’idée est que tous les emprunteurs ne feront pas défaut en même temps. C’est une façon pour certaines banques de « refiler le mistigri » à d’autres, attirés par les rendements importants.
(3) Les banques « systémiques » sont les banques dont la faillite d’une seule d’entre elle pourrait faire exploser tout le système financier. La seule solution est de réduire leur taille jusqu’à ce qu’elles ne représentent plus ce risque. Jusqu’à présent, cela n’a pas été couronné de succès. Voir le lien : http://news360x.fr/la-liste-des-29-banques-dont-le-risque-considere-systemique/
(4) Mayer Amschel Bauer était le père des 5 fils symbolisés par les 5 flèches d’or du bouclier rouge (Roth signifie rouge et schild le bouclier) Ainsi donc, la famille prit le nom du Bouclier Rouge, emblème suspendu au-dessus de la porte de leur maison de Francfort.
(5) Voir le lien : about:reader?url=http%3A%2F%2Fwww.medias-presse.info%2Flordonnance-est-passee-en-france-desormais-une-banque-pour-se-renflouer-pourra-ponctionner-les-comptes-de-ses-clients%2F42401
Jean Goychman