Non, la France n’est pas « irréformable » !
J’écoutais tôt ce matin un chroniqueur radio commenter le « trou de la sécu » en ponctuant son propos d’un définitif « décidemment, la France est irréformable »
A demi réveillé, cette phrase tournait en boucle dans ma tête et, avec ce mauvais esprit qui me caractérise, je me demandais ce qui faisait qu’une nation pouvait être réformable et une autre non. Et d’abord, pourquoi et pour qui doit-on entreprendre des réformes ?
Depuis plus de quarante ans, tel un leitmotiv, pour reprendre ce mot emprunté à l’univers musical, la nécessité de faire des réformes dans notre pays revient constamment.
Les français ne sont pas idiots. Simplement, par rapport à beaucoup d’autres nations, nos pères ont choisi la voie difficile de la sincérité en faisant de « l’esprit critique » une des bases de notre enseignement. Ce choix n’est pas sans conséquence et, pour remporter notre adhésion, nos dirigeants politiques ne peuvent faire l’économie d’une explication rationnelle.
Conscients de cette difficulté, et souvent dans l’impossibilité de justifier certains choix qui, de toute évidence, ne vont pas dans l’intérêt de notre nation, nombre d’entre eux ont pris le parti d’agir « en catimini ». Cette méthode dite « du fait accompli » souvent utilisée à l’étranger, présente des risques certains de troubles sociaux. Ce comportement qui consiste à espérer que les gens ne se rendront compte de rien avant qu’il ne soit trop tard pour faire marche arrière, est devenu une constante de ce qu’il est convenu d’appeler la « construction européenne ».
Or, nous avons de la mémoire et nous savons nous rappeler qui a décidé ou fait quoi. Ce n’est pas parce qu’il ne se passe rien sur l’instant qu’il ne se passe jamais rien après. Un cas intéressant est celui de la loi du 03 janvier 1973. Cette loi est passée au tout début de l’année, dans un pays encore engourdi par la récente période de fête, ce qui est propice à ce genre de chose. C’est la période des vœux, des bonnes résolutions, des projets du nouvel an. Qui aurait pu penser qu’une petite loi toute bête, dont « le principe actif » réside dans quelques mots : « le Trésor Public s’interdit de présenter ses effets à la Banque de France » allait pourtant entrainer notre nation dans la spirale infernale de la dette exponentiellement croissante ?
A y regarder de plus, près, cette loi n’est pas venue par hasard. Il y a eu un long travail souterrain de préparation de façon à ce qu’elle soit présentée comme une sorte de « régularisation » d’un état de fait, d’une sorte de droit devenu coutumier par lequel les dépenses publiques de notre nation se finançaient d’ores et déjà par des emprunts contractés auprès de banques privées. Or, la raison pour laquelle les responsables de nos finances publiques agissaient ainsi n’a jamais été clairement explicitée.
Poursuivons notre analyse dans le temps : 1973 a vraiment été une année charnière. L’Histoire en a surtout conservé le souvenir du « choc pétrolier » né d’un embargo des pays de l’OPEP naissante (le baril de pétrole est passé de 2 à 8 dollars en moins d’un an) mais on a occulté la cause profonde. Celle-ci se trouve en 1971 dans la décision de l’exécutif américain de décrocher le dollar de la parité qu’il avait avec l’or. Cette déconnection avait été imposée par la Réserve Fédérale qui voyait son stock d’or fondre à vue d’œil (de Gaulle avait rapatrié environ 600 tonnes d’or entre 1962 et 1969 et l’Allemagne s’apprêtait à faire de même)
Ainsi que la nécessité absolue de faire marcher « la planche à dollars » pour financer la guerre du Viet Nam.
Rendu « flottant », (c’est-à-dire que sa valeur s’exprimait comme celle de n’importe quelle autre marchandise en fonction de l’offre et de la demande) le dollar aurait dû cesser d’être la « monnaie de réserve internationale », statut qui résultait des accords de « Bretton Woods » de 1944.
Tel ne fût pas le cas et le dollar continua de remplir ce rôle, malgré l’ambiguïté de sa double nature (monnaie domestique pour les USA et monnaies des échanges internationaux, notamment pour le pétrole)
Passant sous silence le « dilemme de Triffin* », les autorités financières américaines ont donc imprimé des dollars à tout va, en raison du quadruplement du prix du pétrole.
Or, ces dollars ne peuvent être imprimés qu’en contre-valeur d’une dette d’état. Cette augmentation du nombre de billets en circulation produit une augmentation de cette dette publique. Il faut donc que ces billets quittent le territoire américain pour être utilisés dans les transactions pétrolières et ne jamais y revenir afin de ne pas mettre les Etats-Unis dans une situation d’ excès de liquidités.
Or, il faut bien en faire quelque chose à l’étranger et c’est là que le financement des dépenses publiques auprès des marchés privés intervient. Les dollars s’entassant dans les coffres des pays exportateurs (et pas seulement de pétrole) il fallait leur trouver un débouché à la fois sûr et rentable. Et quoi de plus sûr, me demanderez-vous, que les dettes d’Etat ?
A vrai dire, ce sont elles qui présentent le moins de risques, car elles sont « in fine » garanties par une des institutions les plus solides au monde, celle qui paye toujours, je veux parler du contribuable, garant en dernier ressort de ces emprunts.
Ce sont donc les « marchés financiers », c’est-à-dire les grandes banques internationales, qui se sont chargées de financer les dépenses publiques des Etats, moyennant naturellement un intérêt qui prenait en compte la solidité financière dudit Etat. Remarquons au passage que ce qui intéresse « les marchés » n’est pas tant les équilibres budgétaires d’un Etat, mais surtout la capacité de cet Etat à lever les impôts…
Je vois que vous comprenez parfaitement ce qui s’est passé. Plutôt que de laisser la Banque de France continuer à financer sans intérêt les dépenses de la nation, il était plus profitable pour les banques de l’obliger à souscrire des emprunts produisant des intérêts pour financer lesdites dépenses. Il suffit de voir comment à évoluée notre dette publique depuis 1974 pour avoir une idée de la « rentabilité de l’affaire… »
Si, à l’époque, un esprit bien intentionné nous avait expliqué par le menu sur quoi cette loi du 03 janvier 1973 allait déboucher, il est probable qu’elle ne serait pas passée.
Alors, bien évidemment, aujourd’hui, on nous répète à satiété qu’il faut, en raison de notre dette publique gigantesque (environ 2.000 milliards d’euros, soit 100% de notre PIB**) réduire les dépenses de l’Etat. C’est vrai, nous sommes virtuellement en faillite, mais uniquement en tant qu’Etat. Les français, eux, en raison de l’importance de leur patrimoine privé, sont entiérement solvables. Et quel le moyen de faire glisser les patrimoines privés vers les dettes publiques ? Cherchez bien, vous y êtes, c’est l’impôt.
Avant 1973, si l’Etat dépensait trop, nous avions une certaine inflation, liée à un excès de création monétaire. Aujourd’hui, si les dépenses de l’état dépassent ses recettes, il nous faut emprunter avec intérêt pour combler la différence. Ces emprunts successifs nous obligent à verser au titre des intérêts des sommes de plus en plus importantes et il faut donc « réformer »
Ce qui, en clair veut dire plus d’impôts et moins de prestations sociales.
Remarquez bien que, malgré ces « cures d’austérité » qui ne veulent pas dire leur nom, la dette publique augmente chaque année d’environ 6 à 8%. Et à ce prix, nous n’honorons même pas les engagements que nous avons contractés en ratifiant le fameux traité TSCG (Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance) et qui nous impose non seulement de diminuer à moins de 3% de notre PIB le déficit du budget, mais également de ramener sur une période de 20 ans notre dette publique à 60% du même PIB. Apres tout, cela ne fait que 800 milliards d’euros, soit 40 milliards par an…
Rappelez-vous quand même que ce traité a été signé sous Sarkozy et ratifié sous Hollande. Nous aurons une petite pensée pour eux le moment venu…
Alors, vouloir imposer ce type de réforme alors que nous pressentons que d’autres solutions sont possibles ne peut remporter aujourd’hui l’adhésion de la grande majorité de notre peuple.
Cela fait maintenant plus de 40 ans que tous les gouvernements successifs nous parlent de réforme sans qu’aucun résultat n’ait jamais été clairement constaté.
Aujourd’hui, notre appartenance à la zone euro nous a privés de ce dernier levier issu du souverainisme et qui était la possibilité d’effectuer une adaptation de la valeur de notre monnaie à notre situation économique, alors qu’on nous parle dans le même temps d’une surévaluation de l’euro qui nuit à notre compétitivité.
Nos gouvernants feraient mieux de nous dire la vérité et de reconnaître que la seule chose qui leur importe est que la France reste dans l’euro, quel que soit le prix pour le contribuable et le salarié français dans ce maintien. Non, définitivement non, la France n’est pas irréformable. Tout dépend de la clarté de la justification et de la confiance que nous avons dans ceux qui nous gouvernent.
*Robert Triffin (Gold and the Dollar Crisis: The future of convertibility) a démontré brillamment en 1960 qu’une monnaie de réserve internationale impliquait nécessairement un déficit budgétaire structurel du pays qui émettait cette monnaie de façon à alimenter les échanges internationaux. Ceci ne pouvait qu’introduire à terme une perte de confiance dans cette monnaie. La FED était la grande gagnante du fait que chaque billet émis génère un intérêt payé par le contribuable américain.
**Le PIB (Produit Intérieur Brut) représente plus ou moins la valeur des richessses produites par un pays durant un an. Le PIB français est actuellement autour de 2.000 milliards d’euros.
Un déficit budgétaire de 4.5% (cas de 2014) représente un déficit (écart entre recettes et dépenses publiques) de l’ordre de 90 milliards d’euros.
Jean Goychman
Monsieur Collard ,
Vous avez admirablement expliqué la situation,
.
il est certain que si à l’époque ont avait expliqué cela et qu’un référendum avait permis aux Français de donner leur volonté ,on en serait pas là aujourd’hui.
Ce matin sur Radio Classique , monsieur jean Claude MALLY expliquait qu’il était contre les référendums, car cela était un système trop Binaire « car oui ou non ne sont pas des réponses appropriées à la complexité des questions qui n’étaient pas forcément comprises par les personnes consultées » .
La bonne blague de la part d’un représentant syndicaliste, cela en dit long sur ceux qui nous représentent….
La démonstration absolue de la confiscation du pouvoir par nos pseudos représentants…
Le Mouvement Bleu Marine ne tombera t’il pas dans les mêmes travers?