Jean Goychman – Accord de Bruxelles, le Munich grec
Lorsqu’en 1938, Chamberlain revint de Munich pensant avoir réussi à préserver en Europe une paix déjà précaire, Churchill eut cette phrase prophétique :
« Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre »
La décision prise par Alexis Tsipras le 13 juillet 2015 de signer un accord avec l’ « Eurogroupe » (nouvelle appellation de la Troïka 1) dans des conditions encore plus défavorables pour le peuple Grec s’apparente à une reddition sans conditions. Qu’est-ce qui a bien pu pousser Tsipras, après avoir remporté une semaine auparavant un succès électoral éclatant, à renoncer à tout ce qu’il défendait depuis près de six mois.
Certes, on rétorquera que son objectif était avant tout de garder la Grèce dans la zone euro. Je n’y crois pas. L’intérêt du peuple Grec était, à l’évidence, de sortir de l’euro. Il aurait ainsi effacé d’un coup une dette abyssale, et surtout la Grèce aurait occupé une position très forte, compte-tenu de sa situation géographique. Pour aller jusqu’au bout de ma pensée, je pense que la diplomatie américaine aurait exercé une pression considérable pour conserver la Grèce dans l’Union Européenne et surtout dans l’OTAN. Qui sait ? Elle aurait peut-être même obtenu le maintien dans la zone euro avec en prime un abattement important de la dette.
Il faut se rappeler que les banques internationales s’étaient sorties du guêpier de la dette grecque en la faisant reprendre par les contribuables des Etats de la zone euro. C’était à l’époque (2012) une belle manœuvre, même si elle est restée entourée d’une certaine « discrétion » Le risque était donc ailleurs et probablement dans l’instabilité du système financier mondial.
Toujours est-il qu’au bout d’une négociation « marathon », entrecoupée d’apartés en comité restreint, le Premier Ministre Grec a signé, annihilant ainsi une action entamée en janvier et conduisant le peuple Grec à la résignation après lui avoir fait miroiter tant d’espoir. Peut-être a-t-il cru qu’en faisant preuve de bonne volonté en affirmant qu’il voulait que son pays restât dans l’euro, cela lui vaudrait une certaine compréhension de ses interlocuteurs ? Quelle erreur ! Ils n’ont vu qu’une manifestation de sa faiblesse et lui ont fait payer le prix fort, ou plutôt ce sont les Grecs qui vont le payer.
Il est probable que nous ne connaîtrons jamais la teneur des échanges, car c’est une spécialité européenne, que de débattre dans une sorte de « huis-clos » de ce qui peut concerner la « plèbe ». Pourtant, il avait à ses côtés un grand connaisseur de l’histoire économique du monde de l’après-guerre. Auteur du livre « le minotaure planétaire », Yanis Varoufakis s’est livré à un inventaire assez exhaustif des forces économiques et financières qui régissent notre monde d’aujourd’hui. Sa démission, après sa mise en minorité par le gouvernement Tsipras, au lendemain du référendum, a été la première victoire de l’Eurogroupe. Il était partisan de quitter l’euro et avait commencé à organiser les choses dans ce sens. La fermeture des banques, sans mesures de contrôle des changes, a permis à beaucoup de grecs de thésauriser des euros qu’ils auraient probablement changé en drachmes (ou autre monnaie) après leur mise en service suivie logiquement d’une dévaluation. Ceux qui avaient choisi l’option d’exporter les capitaux auraient réalisé le même type d’opération…
Notons que, malgré l’avis de certains « économistes 2», l’économie grecque aurait pu, au travers de ce changement de monnaie suivie d’une dévaluation importante, retrouver une certaine compétitivité. L’activité de réparation navale a, en grande partie, été délocalisée vers la Turquie en raison du cours élevé de l’euro, imposé par des considérations démographiques allemandes. On raille l’économie grecque en disant qu’elle n’exporte pas et que par conséquence, son changement de monnaie ne lui apportera rien.
C’est de la « grivèlerie intellectuelle » car elle n’exporte plus essentiellement en raison du coût de l’euro qui rend ses produits, notamment agricoles, peu compétitifs. C’est également passer sous silence le fait que son budget primaire est en équilibre 3 (au 31 décembre 2014) et qu’elle n’a plus à s’endetter sur les marchés pour financer ses dépenses publiques. On reproche souvent à la Grèce les imperfections de son Etat. N’oublions pas que celle est une des plus jeunes républiques européennes et qu’elle n’a accédé à la démocratie qu’en 1981.
L’erreur qu’a commise la Grèce est d’être rentrée immédiatement dans l’Union Européenne, ce qui lui a fait croire qu’elle pouvait jouer dans la « cour des grands » Son développement économique a été très rapide, notamment grâce à l’afflux des touristes européens, Ses gouvernements successifs, notamment ceux issus du PASOK, ont négligé par démagogie un certain nombre d’institutions nécessaires aux Etats modernes. L’administration fiscale fait partie de ces « oublis » La Grèce n’était donc pas préparée à la crise financière de 2008 et le maquillage des comptes publics en 2001, due à l’action qu’on peut qualifier de « frauduleuse » de la banque Goldman Sachs a fait que la Grèce a été « rattrapée par son histoire » et que le gouvernement de Papandréou a été obligé de révéler la vérité.
N’ayons point de « cris effarouchés » Cette vérité était déjà connue du monde financier, mais celui-ci pensait (à juste titre, semble-t-il) que l’euro imposerait la solidarité des Etats et que les banques se sortiraient sans casse de la crise grecque…
Les banques, oui, mais pas les peuples. Nicolas Sarkozy a commis là une de ses plus grandes erreurs, en faisant aveuglément le jeu de l’oligopole bancaire international qui, certes disait risquer la catastrophe à ce moment, mais qui n’a rien fait depuis pour empêcher qu’une telle situation se reproduise.
Les dettes ont simplement changé de créanciers et, pour la Grèce, ce qui aurait dû rester confiné dans les banques s’est transformée en une dette publique insoutenable, ce qui a entraîné l’intervention du FMI et le début de l’agonie de ce pays. L’accord du 13 juillet ne va malheureusement pas améliorer la situation et le peuple grec. Je ne suis pas non plus persuadé qu’il puisse sauver la zone euro car je ne vois pas en quoi le départ de la Grèce de cette monnaie aurait pu avoir plus d’incidence que le fait que le Danemark ou la Suède n’y soient jamais entrés. Il n’a pas été conclu pour cela, mais pour sauver le monde financier d’un désastre supposé au cas où les choses tourneraient mal. C’est dire la confiance que portent en lui ceux qui vivent de ce système.
Peut-être cet accord « à l’arraché » a-t-il simplement ramené un calme relatif sur les marchés boursiers, mais pour combien de temps ? Munich avait également apporté une certaine euphorie, mais il est apparu rapidement que c’était un marché de dupes. Nos dirigeants européens doivent aimer les climats tendus qui vont avec des négociations interminables sans que quiconque puisse en discerner le véritable enjeu, ni même s’il en existe un. Ce n’est qu’un jeu de rôles relayé par des médias en quête de dramatisation. Reprenez les journaux du lendemain de Munich et la similitude vous étonnera ; tous les quotidiens français ont titré sur quatre colonnes : « La Paix ! »
Moins d’un an plus tard, l’armée hitlérienne envahissait la Pologne…
1 La « Troîka » désigne un groupe hétéroclite formé de représentants du FMI, de la BCE et de la Commission Européenne. Son existence n’a jamais fait l’objet du moindre débat au Parlement et elle ne doit rendre de comptes à personne (Voir « Puissante et incontrôlée, la Troïka, diffusée sur Arte)
2 Le terme « économiste » regroupe sous le même vocable des gens de formation, de culture et d’opinions très différentes. Suivant le message que les médias veulent faire passer, on sélectionne la personne la mieux adaptée. Les médias les plus honnêtes organisent des débats entre gens de différentes opinions.
3 On entend par « budget primaire ou primitif » le bilan des recettes et des dépenses prévues et réalisées par un Etat avant de reverser les intérêts de sa dette.
Jean Goychman