Jean Goychman – La démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres…
Cette phrase de Winston Churchill prend un relief particulier dans la période que nous traversons.
Considérée comme un grand progrès de la civilisation, cette forme d’organisation du pouvoir politique est cependant remise en question d’une manière insidieuse par une oligarchie qui prétend devoir diriger le monde. En 1812, James Madison, alors Président des Etats-Unis, affirmait l’incompatibilité de la démocratie avec la propriété privée et prônait un gouvernement des « plus riches » (1). A l’appui de cette hypothèse, il soutenait que les riches étaient plus aptes à gouverner, car plus intelligents, puisqu’ils avaient réussi à s’enrichir.
Pour lui, la démocratie, nécessairement « redistributive », devenait confiscatoire puisque les riches devaient payer pour les pauvres. Il prenait en quelque sorte le contrepied de Rousseau, qui, dans « Le contrat social » considérait que la propriété « était une sorte de vol » perpétré par l’individu à l’encontre de la Communauté. Il évoquait l’absence « de tout droit moral ou théologique » établissant un droit de propriété.
Je vous entends déjà me dire : « Qu’à notre société de 2015 à voir avec ces vieilles lunes du 18ème siècle ? » A priori rien car on constate que finalement, la Démocratie cohabite avec le droit à la propriété privée que plus personne ne remet en question. Voilà pour l’apparence mais qu’en est-il de la réalité ?
Longtemps cantonnée aux objets « matériels », la propriété s’est étendue aux concepts « immatériels » donnant ainsi naissance à ce qu’il est convenu d’appeler « la propriété intellectuelle » Cette nouvelle forme de propriété n’a pu se développer que grâce aux moyens de reproduction permis par les avancées technologiques. C’est ainsi que sont nés les « médias » avec le succès et l’importance que nous connaissons.
Pourquoi, me direz-vous, faites-vous cette digression ? Elle est fondamentale dans notre société actuelle car c’est la notion de « propriété intellectuelle » qui permet de valoriser le contenu des médias. Or, vous savez que toute valorisation s’accompagne d’une financiarisation, et que cette financiarisation constitue la passerelle entre le matériel et l’immatériel. Nous achetons, d’une manière ou d’une autre, le droit d’accéder aux informations contenues dans les médias. Cela peut se faire en payant directement le journal ou l’abonnement à une chaîne de télévision, ou par l’impôt sous forme de redevance, ou encore indirectement en nous imposant des messages publicitaires. Les médias sont donc des sociétés commerciales qui peuvent être achetées ou revendues. Et c’est de là que nait le danger pour la démocratie.
Permettez-moi de m’expliquer quelque peu. Tout le monde s’est accordé depuis des décennies sur la nécessité de fournir à l’opinion publique une pluralité de points de vue de façon à ce que chacun, en fonction de ses inclinations et de ses expériences, puisse établir sa propre conviction. C’est pourquoi la notion de « liberté d’expression » est devenue fondamentale. Elle s’oppose directement à la notion de « Pravda », journal soviétique devenu terme générique de l’information dirigée au service exclusif d’un pouvoir dirigeant. Ainsi, cette pluralité d’informations est une sorte de gage donné à la démocratie, puisqu’elle fournit à l’individu le choix de l’interprétation. Or, la Loi n’interdit pas que plusieurs médias aient le même propriétaire. Tout juste y a-t-on mis certaines conditions, au demeurant sans réelle efficacité en regard de la pluralité de l’information.
Il s’est donc développé une sorte de paysage de l’information, ayant l’apparence de la pluralité, mais dont le contenu est fortement orienté par ceux qui possèdent en réalité ces moyens d’informations. C’est ainsi qu’a prospérée ce qu’on appelle « la pensée unique »
Un de mes profs du lycée nous avait dit que la liberté pouvait se définir comme « un intermédiaire entre le conditionnement et la pensée » Et c’est au niveau de ce conditionnement que nous devenons vulnérables, du fait que les mêmes informations ou les mêmes opinions, publiées par différentes sources, finissent par nous convaincre de leur véracité. L’instinct grégaire et une certaine réticence à penser différemment des autres ne font alors que renforcer ce sentiment.
Pour dominer l’économie mondiale, la pensée du « néolibéralisme » a su s’imposer en utilisant de telles méthodes. Le principal obstacle était l’Etat-nation. Il a fallu le contourner avant de le détruire, en le prenant « à revers » en quelque sorte. L’Etat-nation repose sur le concept de la nation souveraine. Les attributs de la souveraineté sont, entre autres, de déterminer les frontières et d’exercer, au nom du peuple, le droit de contrôler la monnaie du pays. Ces deux concepts ont été la cible privilégiée des financiers mondialistes. L’abolition des frontières a commencé avec le « libre-échangisme ». En Europe, ce fut le « Marché Commun » issu du Traité de Rome de 1957. De même que la fin de la guerre en 1944 a consacré la suprématie du dollar sur les autres monnaies, l’euro a supplanté les monnaies nationales de la zone euro après le traité de Maastricht.
Philippe de Villiers écrit avec justesse, dans son livre récent (2) :
« L’utopie monétaire est née de cette alliance bizarre entre les idéologues du fédéralisme européen et les lobbies financiers qui cherchaient là le moyen d’affaiblir les Etats et de démanteler leurs frontières. »
Mais au-delà des Etats-nation, un écueil encore plus important menace la démarche des banquiers mondialistes. Il s’agit de la démocratie. Pour l’instant, la plupart des manœuvres agissant contre elle se sont faites dans le silence, avec la complicité plus ou moins forcée des médias. Mais cela ne peut et ne doit pas durer. Quel que soit le degré de « bienveillante connivence » de leurs dirigeants depuis près de 40 ans, une sourde clameur monte des pays d’Europe dont les peuples perçoivent de mieux en mieux la direction prise par l’oligarchie mondialiste et vers laquelle ils n’ont pas envie d’aller.
Pour l’instant, il n’y a pas eu d’attaque « frontale ». Juste quelques escarmouches, mais qui inquiètent, ont eu lieu. Mais bientôt, il faudra sortir de l’ombre du bois. Même si ce moment a jusqu’à présent été retardé, des décisions vont s’imposer qui mettront face à face les « souverainistes » partisans des Etats-nation démocratiques et les mondialistes qui se rêvent « citoyens du monde » De l’issue de cet affrontement dépendra le sort de la démocratie.
Jean Goychman
(2) « Le moment est venu de dire ce que j’ai vu » Philippe de Villiers (Ed Albin Michel)